L'intrigue est la plus ténue qui soit: le narrateur rencontre, au stand de tir où il s'entraîne au pistolet, une charmante personne nommée Lila. On dit: charmante; au final, on n'en sait rien, la description de cette femme étant plutôt sèche: «Je la trouve fermée, butée, coincée...» Mais voilà: «Mon corps bande pour elle.» Nous verrons reparaître cette Lila, de temps en temps dans ce livre, comme une sorte de lien entre les scènes, clin d'oeil au lecteur? Ce n'était pas nécessaire, car chacune de ces scènes est passionnante.

Il s'agit de parcourir, autour du bureau de l'écrivain, les rues de Paris, avec leurs monuments et leurs personnages, et de se renseigner sur leur histoire. Boulevard Raspail? Mais qui était Raspail? (Sa vie, son oeuvre.) La statue de Balzac, par Rodin? Un peu plus loin, la rue de Luynes. Qui ça? C'était le fauconnier favori de Louis XIII. (Considérations sur les faucons.) L'église Saint-Thomas-d'Aquin, très laide, où le pape Pie VII vint à Paris, un peu forcé par Napoléon (anecdotes sur Thomas, empoisonné entre Naples et Lyon). L'auteur s'exclame: «Spectres, âmes invisibles, fantômes réels, présences à peine sensibles, je vous poursuis dans ce monde fermé, tristement mortel...» Ce sera donc tout le sujet de ce livre, cette sorte de longue balade que l'on pourrait qualifier de culturelle si le mot ne faisait pas si peur. Mais en aucun cas un guide pour touristes. Et les symboles de voler, et les télescopages de personnes, d'histoire, de lieux, de s'entrechoquer, de s'entrelarder. On dirait du Malraux, à certaines pages, ce Malraux qui semble avoir trouvé en Sollers un digne successeur. L'éructation en moins.

 

La poésie de Ducasse. La peinture de Picasso. Breton qui cite Novalis. Mélanges. Relations. Correspondances. Soudain, on frappe à la porte de l'écrivain, c'est le postier qui lui apporte le courrier et lui présente le calendrier. Ce qui amène à Nietzsche (il avait promulgué un calendrier le 30 septembre 1888, voyez comment vont les choses du monde). Le temps s'en va, le temps s'en va, Madame/Le temps non, mais nous nous en allons... (Corneille).

Impossible, bien sûr, d'aligner ici ne serait-ce que le dixième des textes, des histoires, des considérations, des pensées de ce livre. Nous y voyons le passage du temps, celui de la connaissance, celui des voyageurs et des lieux. Ce livre a été détesté et vomi par tant de joyeux journalistes qu'il ne peut en aucun cas être mauvais. À vous de voir.

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Les voyageurs du temps

Philippe Sollers Gallimard, 244 pages, 33,95$

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