Avec Le commencement du monde, Jean-Claude Guillebaud achève un cycle d'exploration du monde qui aura duré 15 ans. Rencontre avec un chrétien optimiste et serein.

«Pendant quatre siècles, nous, les Occidentaux, les Européens, avons été les patrons du monde, décrétant ce qui était bien et ce qui ne l'était pas. Ainsi, la modernité était occidentale et le traditionnel devait conséquemment venir de la périphérie.»

 

Pour Jean-Claude Guillebaud, cette «séquence occidentale» est finie et le monde, libéré de l'hégémonie politique, économique et culturelle du «centre», a entrepris sa marche «vers une modernité métisse». Le métissage, toutefois, a commencé bien avant l'émergence du «sixième continent», cet empire numérique encore mal défini et incontrôlé, explique le journaliste et essayiste dans Le commencement d'un monde, lancé l'automne dernier au Seuil et dont il fait présentement la promotion au Québec.

Malgré son titre, l'ouvrage est le dernier d'un cycle entrepris en 1995, vaste «enquête sur le désarroi contemporain» qui se penchera sur la démocratie dans La trahison des Lumières (1995, prix Jean-Jacques-Rousseau) et La refondation du monde (1999); sur la sexualité dans La tyrannie du plaisir (1998, prix Renaudot de l'essai); sur la morale dans Le principe d'humanité (2001, Grand Prix européen de l'essai); et, en 2003, sur la politique moderne dans Le goût de l'avenir.

Le commencement arrive un peu comme une synthèse de cette formidable exploration à laquelle on connaît peu d'équivalents. Ancien grand reporter au Monde, Jean-Claude Guillebaud a gardé de la méthode journalistique le goût de la vulgarisation, donc de la clarté. Plus tard, ses années au Seuil - il y travaille comme directeur littéraire depuis 1982 - l'ont mis en contact avec des sommités comme Michel Serres et Edgar Morin et, de là, avec tous les grands courants de la pensée moderne. Autres assises: curiosité insatiable, lecture patiente.

 

Le monde nouveauIci, Jean-Claude Guillebaud s'engage avec force, hargne presque, à démontrer que ce monde nouveau n'est nullement le résultat d'un quelconque «choc des civilisations», comme le voudrait le discours ambiant. Dans The Clash of Civilizations, un ouvrage qui a vite fait le tour du monde au milieu des années 90, l'Américain Samuel Huntington avançait que les conflits majeurs opposeraient désormais non plus des États-nations ou des idéologies mais des cultures civilisationnelles. Pour plusieurs, sa théorie a trouvé sa preuve irréfutable dans les attaques du 11 septembre 2001 et se pose depuis en certitude.

Théorie «ridicule», lance néanmoins Guillebaud, qui n'y voit qu'un «appel aux armes» en appui au «darwinisme culturel» américain, cri de ralliement des «néo-cons» (néo-conservateurs) de partout, trop contents de trouver des ennemis à «leur» civilisation, la seule valable, l'Histoire n'en a-t-elle pas fait la preuve? Islam contre Occident, rien de plus simple.

L'arrivée au pouvoir de Barack Obama va-t-elle changer cette donne? «On ne sait pas encore s'il sera un bon président», nous a dit M. Guillebaud, en entrevue cette semaine à Montréal. «Le président des États-Unis doit protéger les intérêts américains mais la seule élection d'Obama marque une formidable rupture symbolique.» Rupture aussi avec le discours de Bush: à la Maison-Blanche, se réjouit encore l'ancien globe-trotter, on ne parle plus de «guerre au terrorisme»: «L'expression ne veut plus rien dire, de toute façon. Il y a le terrorisme basque, le terrorisme tchétchène, le terrorisme islamiste. Des réalités très différentes.»

Au-delà du nombre et de la diversité des références - de l'Inde à la Chine, des post-colonial studies au chaos-monde -, on appréciera les passages où l'auteur «déconstruit» le principe d'identité et ses écueils. Comme quand la religion cesse d'être une spiritualité pour se transformer en identité. Dangereux. «Quand elle est en détresse, l'identité devient guerrière...»

Identité québécoise

Jean-Claude Guillebaud, par ailleurs, était à Montréal pendant une partie des audiences sur les accommodements raisonnables, «heureux défoulement collectif» pendant lequel «l'identité québécoise a fait l'objet d'une interrogation radicale». Les lecteurs québécois de toutes allégeances trouveront aussi matière à réflexion dans le chapitre intitulé «Espace-temps fracturé» où est traitée la relation identité-territoire. Le multiculturalisme, une création canadienne à bien des égards, est mort, lit-on encore. À sa place, la créolité, qui n'est «pas la négation des différences mais leur combinaison créatrice».

Vision angélique, lancent les détracteurs de Guillebaud, «chrétien de gauche» qui a (re)découvert par ses recherches que «les grandes valeurs occidentales viennent de l'Évangile, de la pensée juive et de la tradition grecque». On voit la difficulté: l'ouverture à «l'Autre» commande désormais de ne plus lui imposer ces dites valeurs comme «universelles». De dire le collaborateur de l'hebdo La Vie (lavie.fr): «La modernité est post-chrétienne.»

Jean-Claude Guillebaud a vu son «désarroi» s'atténuer dans une foi retrouvée où il puise peut-être son optimisme. Mais il ne cherche ici ni à convaincre ni à convertir: il constate, «déconstruit», explore.

«Qu'aimeriez-vous que les gens retiennent de votre livre?

- Que le monde nouveau marque la fin de la peur.»

LE COMMENCEMENT DU MONDE

Jean-Claude Guillebaud

Éditions du Seuil, 400 pages, 39,95$