Deux clichés ont longtemps décrit les liens des Québécois avec le hockey. Dans l'ordre des choses de la vie, les fils de ce peuple viendraient d'abord au monde avec des patins aux pieds avant d'entendre dire que «ici, le hockey est une religion».

Il y a 50 ans, le Québécois ordinaire assistait à deux «messes» par semaine. Celle du dimanche, à l'église, était dite en latin par un célébrant drapé d'or ou de pourpre qu'il fallait croire sur parole. La veille, le samedi soir, dans une célébration qui «comptait» même s'il n'était pas physiquement au «temple», le même croyant avait vu, à la télévision ou à la radio, d'autres célébrants, habillés en bleu, blanc et rouge ceux-là, lui promettre une félicité renouvelée chaque année au printemps par le retour de la Coupe Stanley. L'absence du calice d'argent pouvait se voir comme une preuve de la colère divine contre le peuple pécheur qui devait expier: un an d'enfer!

 

Beaucoup de choses ont changé depuis. Le peuple québécois peine à se redéfinir et le peuple de Dieu a déserté les églises. Fondé pour être «le club des Canadiens français» il y a 100 ans, le Canadien, lui, avait déjà pris depuis longtemps le virage oecuménique, réunissant dans une même fervente communion Anglais et Français, juifs, catholiques et protestants. «Go, Habs, go!» Qu'en est-il alors, au-delà de la métaphore, de cette nouvelle «religion» du Canadien?

Des théologiens de l'Université de Montréal, annonçait La Presse en octobre, ont trouvé la question assez signifiante pour en faire l'objet d'un cours de maîtrise, à l'initiative d'un ancien ministre protestant suisse, Olivier Bauer. La matière de base du cours est déjà disponible dans un livre intitulé La religion du Canadien de Montréal, ouvrage collectif de 10 articles dirigé par Bauer, assisté de son «ailier» français Jean-Marc Barreau, un autre «voleur de job», aurait dit Mario Tremblay.

Parmi les collaborateurs, une théologienne, Denise Couture, qui propose une lecture féministe de la question: à lire absolument (attention machos! la dame a fini sixième dans son pool). Et deux non-théologiens, dont Benoît Melançon, directeur du département des littératures de langue française de l'UdeM et auteur de Les yeux de Maurice Richard dont il a tiré son article pour le présent ouvrage, «Notre père le Rocket qui êtes aux cieux».

«Le Canadien est un objet culturel fascinant», nous dira Melançon, récemment élu à la Société royale du Canada, le temple de la renommée des universitaires. «J'étais un peu étonné au début mais ce livre sur la religion confirme mon impression qu'on avait intérêt à se pencher sur la question et que les théologiens sont mieux équipés que quiconque pour le faire.»

Étudier le sport, ou le hockey, sous l'angle religieux, et vice versa, n'a rien de nouveau, souligne M. Melançon, mais le cas spécifique du Canadien est abordé comme tel pour la première fois. Et l'ancien gardien Olivier Bauer l'attaque de front dans le texte principal du livre: le Canadien n'est pas une religion. Parce qu'il lui manque «une référence explicite et assumée à une Transcendance, à un Dieu». Les demi-dieux comme Maurice et Ti-Guy ne suffisent pas. Quant aux «fantômes du Forum», Rome et Toronto étudient toujours la question.

Le Canadien et le hockey n'en portent pas moins certaines caractéristiques religieuses, tout comme le baseball - «royaume» idyllique de la vie pastorale américaine - et le soccer qui, malgré son «épaisseur symbolique», ne se qualifie pas plus. Intéressante lecture - tout est clair malgré les références savantes qui peuvent manquer à l'homo sportivus quebecensis - où l'on suit jusqu'à leur juste place les rituels, la communion, les symboles, les idoles et la finalité de tout cet exercice de «théâtralisation» qu'est le sport professionnel.

Plus loin, le lecteur voit comment le Canadien pourrait constituer une religion «populaire», vécue sur le mode d'une «différence» - ici le caractère québécois francophone - par rapport à la religion «officielle», celle des «WASP» (White Anglo-Saxon Protestants) de la LNH et du reste du continent.

Certains «fans» - selon Benoît Melançon, «ils font preuve de plus de discernement qu'on leur en accorde» - pourront pencher vers l'explication de la religion «implicite», basée sur un «engagement qui affecte l'ensemble d'une existence»: «Canadien pour toujours», genre. Ou pour la religion dite «civile» où cohabitent politique et religieux: si le Québec avait tout du «peuple élu» quand le Canadien battait tout le monde, pas besoin d'être branché sur l'Au-delà pour voir que ce n'est plus le cas.

Alors quoi? Le Canadien comme «quasi-religion»? Commode, nous dit Olivier Bauer mais ça ne résout pas «la question du sens de l'existence».

Quel sens a la vie, oui, surtout quand on ne fait pas les séries?

LA RELIGION DU CANADIEN DE MONTRÉAL

Sous la direction d'O. Bauer et J.-M. Barreau , Fides, 187 pages 24,95$

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