Il y a plusieurs façons de s'intéresser à l'histoire des États-Unis. On peut le faire en lisant sur les présidents. On peut suivre l'évolution économique du pays. L'histoire de la musique. Les combats pour les droits civils.

Tim Weiner, journaliste au New York Times, s'est intéressé à l'histoire de l'espionnage, l'histoire des coups d'État, des mensonges, des échecs.

 

Bref, M. Weiner s'est intéressé à l'histoire de la CIA.

Dans Legacy of Ashes, paru chez Anchor Books, M. Weiner entreprend d'explorer les dessous du renseignement américain. Pour y parvenir, il se sert d'entrevues réalisées en personne avec des ex-dirigeants de la CIA, mais aussi de tonnes de documents auparavant secrets rendus publics ces dernières années.

Organe non officiel fondé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la CIA avait comme premier mandat d'établir un réseau d'espionnage et d'information à travers le monde. La Maison-Blanche avait été surprise par l'attaque contre Pearl Harbor quelques années plus tôt, et ne voulait pas que l'expérience se répète. Washington voulait tout savoir sur son nouvel ennemi: l'URSS.

Dès sa naissance, l'organisation était plus qu'un simple service de renseignement. La CIA s'est mise, secrètement ou non, à renverser des gouvernements élus. La lutte contre le communisme devait se faire sur le terrain, coûte que coûte. Souvent avec l'aval de la Maison-Blanche. Quelques fois sans.

La CIA incarne le «côté sombre» de la politique étrangère américaine. Indonésie, Vietnam, Iran, Guatemala... Pendant que les diplomates boivent le thé avec les personnages importants, la CIA traîne dans les ruelles, à la recherche de mercenaires prêts à renverser les gouvernements avec des armes achetées par Washington.

Et, comme c'est le cas pour l'aventure américaine en Irak, tout se passe rarement comme prévu.

On sent bien que M. Weiner, journaliste spécialisé dans les questions d'espionnage, connaît à fond son sujet. Si certains passages du livre se lisent comme un roman policier, d'autres sont remplis de noms et de références parfois complexes à déchiffrer. M. Weiner excelle lorsqu'il décrit l'absurdité des mises en scène de la CIA. Le livre hélas en est rempli.

Le titre, Legacy of Ashes (Héritage de cendres) est d'ailleurs tiré d'une phrase du président Eisenhower. À la fin de son mandat, Eisenhower a eu une réflexion très lucide sur la CIA. À l'époque, le président avait promis à Nikita Khrouchtchev qu'il ne violerait pas l'espace aérien de l'URSS. Or, en privé, Eisenhower avait permis à la CIA de faire voler ses avions U2 au-dessus du pays, pour photographier les installations militaires. Le 1er mai 1960, l'un de ces avions a été abattu. Khrouchtchev était furieux. Eisenhower a perdu la face.

Au moment de son départ, le président a fait un bilan sombre de la capacité des États-Unis à connaître les plans de l'ennemi. «Rien n'a changé depuis Pearl Harbor, a-t-il écrit. Je laisse un héritage de cendres à mon successeur.»

Plusieurs années plus tard, la CIA a affirmé que Saddam Hussein avait en sa possession des armes de destruction massive. Cette bourde a eu les conséquences catastrophiques que l'on sait. Legacy of Ashes nous montre qu'il ne s'agissait que de la dernière d'une longue série d'erreurs commises par l'organisation depuis 50 ans.

LEGACY OF ASHES

Tim Weiner, Anchor Books

812 pages

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