Dans la saga de l'évolution du singe à l'homme, peu d'épisodes fascinent autant que le passage de l'homme de Neandertal au Cro-Magnon. Deux questions centrales demeurent, après des milliers de publications scientifiques : le Cro-Magnon a-t-il vaincu - militairement ou autrement - le Neandertal ? Et les deux espèces ont-elles eu des mariages croisés ?

L'homme de Neandertal a vécu en Europe voilà 250 000 à 28 000 ans, et a coexisté avec le Cro-Magnon pendant plus de 10 000 ans. Son dernier refuge a été à Gibraltar, où des fouilles récentes ont découvert des abris dans des grottes côtières. La théorie dominante pour expliquer sa disparition est que Cro-Magnon exploitait plus habilement l'environnement, et que Neandertal a progressivement perdu ses terrains de chasse et la bataille démographique. Un squelette d'enfant découvert en Roumanie, qui a les traits des deux espèces, laisse entrevoir une fertilisation croisée, mais comme c'est le seul exemple connu, la plupart des paléontologues pensent qu'elle était impossible, soit par absence de désir, soit par incompatibilité génétique.

Une paléontologue parisienne, Marylène Patou-Mathis, a publié cette année un livre proposant que Neandertal était «une autre humanité», et a joué un rôle crucial dans le développement des premières civilisations. Il est fascinant d'imaginer comment les premiers hommes ont pu comprendre l'existence de ce cousin si proche mais radicalement différent. C'est, en quelque sorte, la naissance de l'altérité.