Ici Sébastien Filiatrault, le jeune auteur de ce Chef-d'oeuvre (autoproclamé dans le titre ironiquement pompeux), applique de façon pratique par la voix de son personnage le conseil de Ducharme donné au «jeune homme de lettres»: «N'attends pas après les lecteurs, les critiques et le prix Nobel pour te prendre pour un génie, pour un immortel.» Ce premier roman est à prendre, évidemment, un peu à la blague, même s'il s'agit d'un exercice intéressant. Sorte de journal d'un travail d'autodestruction à la fois pathétique et bizarrement touchant, Le chef-d'oeuvre relate les expériences d'un aspirant écrivain particulièrement troublé qui croit fermement que la douleur morale, le déni, le désespoir, la folie et la tourmente générale forment le génie, voulant suivre les traces d'auteurs plus ou moins maudits mais aujourd'hui vénérés comme Baudelaire, Nelligan ou Aquin. Comme si souffrir, vivre tout croche, finir dément ou mourir mal étaient les clés de la reconnaissance universelle d'un talent inouï. Filiatrault propose sérieusement un livre qui ne doit pas être pris avec grand sérieux. On s'en doute, ce travail de dévastation intérieure systématique ne mènera pas le personnage vers les hautes sphères de la célébrité, même posthume, mais à la redécouverte de la simple joie d'exister et, au second degré, à la publication de ce bouquin qui n'a rien d'un chef-d'oeuvre ni même d'un roman important. C'est une sorte de «carte de visite» ou, pour piocher dans le jargon de l'industrie du disque, un «démo» honnête, prometteur, bien réalisé sans souci d'épater, et fort divertissant. Mais ce n'est encore qu'un autre livre...

 

Le Chef-d'oeuvre

Sébastien Filiatrault

Stanké 248 pages, 19,95$

**1/2