Laurent Gaudé descendait aux Enfers dans son roman de l'automne. Régis Jauffret, lui, ne prend pas de risques brûlants. Il crée, il imagine une correspondance avec une morte, une suicidée, c'est un tombeau (une composition poétique) en forme d'échange épistolaire, avec réponses de la morte. Il y aurait des Postes au service perméable entre le monde des vivants et celui des occis; une fluidité poético-postale qu'assume Jauffret avec grâce.

Au point du réel, une amie de Jauffret se serait pendue le 21 mars 2007; au point de la littérature, il s'est lancé dans une prosopopée, c'est le mot exact, la figure littéraire où l'on se permet de faire parler une personne que l'on évoque, une absente, en l'occurrence une femme qui lui était chère, qu'il avait rencontrée au Salon du livre de Paris le 21 mars 2005 et qu'il n'a pas eu le temps d'aimer. Donc, il écrit à l'en allée, il invente ses lettres de retour, c'est «Chère Charlotte», c'est «Mon pauvre amour»...

 

Leur «amourette» du temps d'alors, il était un quinquagénaire marié avec enfants, elle avait un jeune amant, peut alors devenir, sous le sceau de la littérature, une grande affaire; il lui fait écrire: «On dirait vraiment que je me suis suicidée pour ton plaisir d'en faire toute une histoire.» Et pire: «Je me suis pendue à ta place, tu es trop douillet... La mort aurait pu gâcher ta joie de raconter ton supplice...»

Lacrimosa

Régis Jauffret

Gallimard 218 pages, 31,50$ ***