Née en Alberta de parents australiens, Alissa York manifeste un souffle, une inspiration qui la placent déjà parmi les grands noms de la littérature canadienne actuelle. La Presse l'a rencontrée à Montréal à l'occasion du lancement de la version française de son deuxième roman, Effigie, paru chez Alto.

À peine descendue du train en provenance de Toronto, Alissa York paraît fraîche comme une fleur malgré la fatigue du voyage. Dans le bar désert de l'hôtel où elle m'a donné rendez-vous, le soleil oblique de la fin du jour éclaire son beau visage d'un halo doré. Elle sourit, s'excuse de son mauvais français pourtant fort honorable («je veux être bilingue pour mon prochain roman!» dit-elle avec grâce)... Énergique, naturelle, enjouée, cheveux très noirs et teint très clair, elle a la finesse, la vivacité d'une jeune loutre.

 

La métaphore animale n'est peut-être pas un hasard. Dans sa première oeuvre, Amours défendues, comme dans Effigie, Alissa York parle beaucoup des animaux - loups, chouettes, corneilles, souvent prédateurs, mais aussi souvent proies eux-mêmes. Et son troisième roman, auquel elle travaille actuellement, ne fera pas exception. «Quand j'étais petite, mon père était très proche de la nature, explique l'auteure. Il nous emmenait chasser, pêcher, faire du canoë. Il m'est arrivé à plusieurs reprises de trouver des animaux morts, et je crois que cela peut vraiment marquer l'imagination.»

Du même souffle, Alissa York affirme pourtant qu'elle est facilement dégoûtée et ne pourrait jamais assister aux opérations de taxidermie ou de dépeçage qu'elle décrit avec tant de minutie! Le soin qu'elle y met serait-il une façon de vaincre cette répugnance, une sorte d'exorcisme? «Je crois que oui... Nous avons appris à trouver dégoûtants le sang, les organes, mais c'est incroyablement complexe, miraculeux, la façon dont tout cela fonctionne et, dans une perspective plus vaste, dont la nature est organisée. La mort est triste, mais elle est aussi très belle parce qu'elle fait partie de la vie. On peut trouver horrible, par exemple, l'idée que des loups viennent se nourrir de cadavres, mais c'est un travail très utile!»

 

Roman historique

Les loups dont parle Alissa York sont ceux qu'elle a imaginés après le massacre de Mountain Meadows, perpétré en Utah en 1857 par un groupe de mormons et d'Indiens païutes contre des migrants venus du Missouri. Cette histoire est le fil conducteur d'Effigie, ce qui a demandé des recherches considérables à l'auteure... laquelle confesse n'avoir aucun intérêt particulier pour le roman historique. «J'étais terrifiée à l'idée d'écrire sur le XIXe siècle. Au départ, l'idée me semblait ridicule. Je ne connaissais rien des mormons non plus. Mais maintenant je suis devenue experte en la matière!» dit-elle dans un grand éclat de rire.

Pourquoi alors avoir choisi ce contexte?

«Un jour, j'ai lu un article dans le Globe and Mail au sujet d'une communauté mormone de Bountiful, en Colombie-Britannique, qui pratique toujours la polygamie. Cela a piqué ma curiosité; je me demandais ce que ça peut être, pour une femme, de vivre dans un mariage polygame. Je me disais qu'il y avait peut-être une histoire à raconter... En lisant sur l'histoire des mormons, je suis tombée sur l'affaire de Mountain Meadows. Cela m'a intéressée à plus d'un titre - d'abord parce qu'on a accusé les Indiens de ce massacre, alors que ce sont les mormons qui l'avaient fomenté. Puis parce qu'on avait épargné les enfants, comme si de les laisser vivre après une chose pareille était plus humain que de les abattre...

«Certains documents disaient que 17 enfants avaient été épargnés, d'autres disaient 18. Et le personnage de Dorrie m'est apparu là, dans ce mystérieux 18e enfant. Je l'ai imaginée 10 ans plus tard, et je me suis rendu compte qu'elle était le personnage de taxidermiste qui me hantait depuis des années. Tout ce que je savais d'elle, c'était qu'elle avait 16 ou 17 ans, qu'elle avait de longs cheveux sombres... C'est là que le roman a vraiment pris forme. Tout découle de Dorrie: qui est-elle, qui l'a épousée et pourquoi?»

Le doute

Alissa York explique son processus de création d'une manière si limpide que l'on pourrait croire que la chose est facile. Mais le doute est un de ses vieux ennemis. «Je doute beaucoup et souvent, mais même alors j'essaie de me mettre au travail. Le plus difficile, c'est la fatigue psychologique qui en résulte. Mais je sais aussi qu'écrire est la seule chose que je veux faire... Sinon j'arrêterais tout, je ferais autre chose!» Et quoi, justement?

Elle hésite un moment, tente: «Traductrice, peut-être...» Puis l'illumination: «Zoologiste! Mais non, j'étais nulle en maths.» Elle avait songé à devenir prof de littérature anglaise. Elle y a renoncé à cause de l'aspect trop analytique de la chose. «Disséquer, c'est fascinant, mais ce n'est pas vivant», explique-t-elle, avant de sourire en réalisant ce qu'elle vient de dire. Les animaux ne sont jamais loin...

Effigie

Alissa York

Alto, 607 pages, 28,95$