Il y a quatre ans et demi, Bruno Blanchet vendait tout ce qu'il possédait à Montréal et partait pour une trotte autour du monde. Les textes des péripéties de sa première année outremer, publiés chaque semaine dans La Presse, sont désormais regroupés sous une jaquette.

Attablé dans un resto montréalais, Bruno Blanchet consulte le menu: «2,25$ pour un jus. J'en ai assez pour manger toute une journée...»

 

En quittant Montréal pour l'autre bout du monde, il y a quatre ans et demi, Bruno Blanchet a opté pour la simplicité volontaire. Adieu CD, antenne satellite, plats à sushi et couverture en plumes d'oie... Ses revenus se limitant à ceux de la rédaction d'une chronique hebdomadaire et de la publication d'une photo dans La Presse, il n'avait pas le choix. Des reportages pour l'émission 3600 secondes d'extase, à Radio-Canada, ajoutent des sous dans sa tirelire depuis deux saisons, mais pas assez pour permettre au globe-trotter de voyager comme le président d'une multinationale.

Qu'importe! Il y a moyen de vivre avec très peu quand on se balade en Thaïlande, en Inde ou en Ouganda. «Je vis souvent dans des endroits où on ne me reproche pas de porter le même t-shirt trois jours de suite. Je ne peux rien acheter, car je n'ai nulle part où ranger quoi que ce soit. Mes dépenses se limitent à la nourriture, aux chambres d'hôtel, aux billets d'avion, de train et aux cadeaux destinés à ceux qui me reçoivent. Idéalement, j'aimerais ne voyager qu'avec mon passeport dans une poche, une carte de crédit dans l'autre, une bouteille d'eau et des pilules contre la malaria.»

Un des verres des lunettes accrochées au chandail qu'il portait en entrevue est endommagé. Pas de problème! Bruno Blanchet pourra s'en acheter une autre paire à l'étranger pour une fraction d'un plein d'essence au Québec. «Je passe une paire de lunettes par mois, affirme-t-il. Celles-ci m'ont coûté 23$ en Inde. Cela dit, je n'en rachèterai pas. Je veux me faire opérer pour les yeux en Inde, où ça peut coûter quatre fois moins cher qu'ici. Mais ne faites pas ce que je fais!»

Dure, la vie de globe-trotter perpétuel? Pas pour Bruno Blanchet, qui jubile depuis mai 2004, mois où il a tout abandonné ici. Il s'était en effet promis qu'à 40 ans, il partirait explorer la planète, un sac sur le dos. Il s'est décidé quand son fils majeur et vacciné est allé vivre en appartement. «J'ai déprimé quand il est parti, avoue Bruno Blanchet. Je n'avais plus d'ancre.»

Avant de sauter dans un avion en direction des îles Fidji, il a fait un pacte avec La Presse : il y raconterait son long voyage dans des chroniques hebdomadaires baptisées La frousse autour du monde. Et pour avoir des choses à détailler, il a décidé que la peur causée par l'isolement et l'éloignement ne le glacerait pas. «Il y a bien des choses que je n'aurais pas osé faire si je n'avais pas eu à écrire, comme entrer chez des gens ou accepter des invitations d'individus un peu louches.»

 

Folies non calculéesLa frousse autour du monde, le livre, est un baluchon de péripéties amusantes qui donnent parfois froid dans le dos. Pas mal pour un grand garçon qui se considère peureux, même si on l'a vu tout faire à la télé. «Ici, mes folies sont calculées, concède Blanchet. Mais à l'autre bout du monde, seul, j'ai au départ eu peur de traverser la frontière, qu'on n'aime pas ma face, qu'on fouille mes bagages et qu'on m'emprisonne dans une geôle turque!»

«Cela dit, la peur de l'inconnu, c'est un moteur, juge-t-il. Je carbure à ça. Comme lorsque je suis parti 10 jours à bord d'un boutre pour voir des oiseaux sur le canal de Mozambique. Autant dire voyager dans une coquille de bois sur une mer agitée. Je ne savais pas à quoi m'attendre, mais c'était excitant. Eh bien! une journée, il y a eu un orage et on est restés pris entre deux îles. On ne pouvait rien faire. On était coincés à quatre dans une cabine grosse comme deux tables de resto. Il y avait le danger de chavirer, de se blesser. Nous n'avions pas de ceinture de sauvetage. Personne ne savait que nous étions là. J'étais au bord de la panique, mais je ne pouvais rien faire d'autre que... rire.»

Son récit en mer ne se retrouve pas dans le présent bouquin. Le livre en renferme néanmoins une quarantaine d'autres, tout aussi prenants: des matinées de plongée sous-marine, des visites chez une vieille dame, des rencontres avec des Québécois exilés, des courses de crabes, des aventures survenues au Myanmar, en Thaïlande, en Nouvelle-Zélande, en Malaisie et au Laos notamment. Des textes parfois poignants, parfois poétiques, souvent drôles.

La frousse autour du monde risque d'avoir des suites. Son auteur, qui n'a fait qu'un saut à Montréal, n'est pas près de revenir s'installer en ville. «Quand on part, on ne veut pas croire que l'on fuit. On se dit qu'on fait une quête. Mais une fois sur place, on constate qu'il n'y a rien à trouver. La vie ne fait que continuer. On est juste ailleurs.»

Les voyages forment la jeunesse ou permettent de rester jeune quand on s'appelle Bruno Blanchet. S'il ne fait pas ses 44 ans, le reporter est quand même fier de les porter. «Ici, on ne veut pas vieillir, note-t-il. Mais quand on voyage, c'est le fun d'être plus âgé. Il y a un respect pour la sagesse des aînés en Asie et en Afrique. Je n'ai pas le même rapport avec les gens qu'un backpacker de 20 ans. Je suis content d'avoir l'âge que j'ai. Et je vais essayer de le garder!»

La frousse autour du monde

Bruno Blanchet

Les éditions La Presse, 182 pages, 32,95$