- Tu n'est pas fatiguée de lire, des fois? Non, jamais. 

 

Je vous jure. Je me fatigue plus de ne pas lire, c'est un tonique au même titre que le café, et je tombe vite en manque. Trop de temps sans lire et j'ai l'impression que mon cerveau ratatine, ce qui me plonge dans des angoisses... le cycle de la dépendance, quoi.

Oh, par moment, je suis fatiguée de lire certains livres, l'obligation tue souvent le plaisir, surtout si cette obligation est mal écrite. Beaucoup de mes amis pensent qu'à l'approche des vacances, puisque mon métier consiste à lire, c'est de lire que je prends congé. Mais il n'en est rien.

Moi aussi, j'ai droit à mes lectures de vacances. Et que fait-on en vacances? On se libère de l'agenda et du temps réglé au quart de tour. Idem pour mes lectures d'été: je me libère de l'actualité littéraire. Je m'éloigne de mes contemporains comme les urbains prennent leurs distances de la ville pour aller trouver le bonheur dans les prés. Je change d'époque, je change de siècle, je change de pays. Je retourne aux classiques. Il m'arrive parfois, en lisant le dernier roman à la mode, d'entendre des voix d'outre-tombe plus vivantes que mortes, qui m'appellent du fin fond de ma bibliothèque... Le Casanova en trois tomes n'arrête pas de me faire de l'oeil.

Ce qui ne m'empêchera pas de vous faire des propositions séduisantes parmi les centaines de livres que les collaborateurs des pages Lectures ont lus pour vous ces derniers mois. Car, il faut le dire, nous avons connu un printemps exceptionnel dans le monde littéraire.

À n'en pas douter, le livre québécois de l'été sera sûrement Champagne de Monique Proulx (Boréal). Que je n'ai même pas encore lu, imaginez-vous donc. Mais je constate autour de moi que tout le monde se procure cette ode à la nature pour justement la lire à la campagne et que, jusqu'à présent, les commentaires sont tous positifs. Mon gros pif me dit que nous serons nombreux à faire de même au chalet.

Si vous en avez le courage, lancez-vous dans La Grande Tribu de l'inénarrable VLB, qui a beaucoup fait parler de lui cet hiver, plus que de son livre. Mais je vous conseille tout de même, si vous n'avez jamais foulé ce continent, de commencer par son James Joyce, que, à bien y penser, je considère comme supérieur à sa dernière brique.

N'hésitez pas non plus à lorgner du côté des jeunezauteurs (un néologisme ironique avant qu'on ne les admette un jour au temple des granzécrivains). Les éditions Québec Amérique et Marchand de feuilles ont les meilleures écuries: Michel Vézina (La machine à orgueil), D.Y. Béchard (Vandal Love ou perdus en Amérique), Françoise de Luca (Vingt-quatre mille baisers) et Mélanie Gélinas, dont le premier roman, Compter jusqu'à cent, m'a bouleversée.

Chez l'une des meilleures maisons d'édition de l'heure, Alto, il y a Rawi Hage (Parfum de poussière), avec lequel je vous bassine régulièrement. Mais aussi la Canadienne Margaret Laurence, dont on traduit tout le Cycle de Manawaka.

Un peu de poésie? Ne râlez pas si vite. Je vous suggère une aventure vraiment intéressante, celle de lire en parallèle Poèmes du traducteur de Michel Garneau, qui a traduit le Livre du constant désir de Leonard Cohen, les deux chez L'Hexagone. J'ai eu énormément de plaisir à faire cet exercice, sachant que Garneau s'est promis d'écrire un poème pour chaque poème de Cohen traduit. La plongée dans l'âme de ces deux hommes, obsédés par les femmes et le temps qui passe, rendus à l'heure des bilans, est irrésistible.

Enfin, du côté étranger: le magistral Les Années, d'Annie Ernaux, que j'ai lu deux fois, les terribles L'Homme qui tombe de Don DeLillo et La Route de Cormac McCarthy, le réconfortant Chagrin d'école de Pennac...

Vous voyez, il y a de quoi vous occuper d'ici à la rentrée. L'équipe de Lectures, qui sera présente dans les pages Arts et spectacles pendant l'été, prépare de gros projets pour vous cet automne. Quant à moi, je dois vous dire que ce ne sont pas seulement les livres et les écrivains qui m'ont tenu compagnie pendant toute l'année, mais aussi vous, lecteurs et lectrices, avec qui j'ai partagé chaque semaine le plaisir de lire, dans cette chronique et par courriel, dans des échanges qui ont toujours été fructueux. En attendant de vous retrouver en septembre, je vous souhaite un bon été, de bonnes vacances, et, évidemment, de bonnes lectures!