Le mois de mai 2020 marque l’anniversaire des 15 ans de la Grande Bibliothèque, mais comme pour bien des évènements d’envergure, la célébration collective a été assombrie par la pandémie. À défaut de pouvoir souffler ces 15 bougies en bonne compagnie, Jean-Louis Roy, PDG de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, met en lumière les défis, passés, actuels et futurs, de ce phare culturel montréalais.

La Grande Bibliothèque est fermée au public durant l’épidémie, mais le hall reste ouvert comme refuge pour les itinérants. Comment s’est prise cette décision ?

La Ville nous a demandé si le grand hall pouvait être transformé en gîte de jour pour les itinérants. On a dit oui tout de suite. Ça semble simple, mais c’est compliqué, car il y a des questions de sécurité, d’assurance, d’hygiène. Mais nous n’avons eu aucun problème.

Des centaines de ces personnes bénéficient de ce très beau lieu, qui leur appartient à elles aussi. Ce n’est pas une clientèle que l’on ne connaît pas, beaucoup d’activités leur sont réservées [en temps normal], comme des ateliers d’écriture ou de photographie. Elles viennent pour chercher un emploi, une information, se reposer, rencontrer des amis. Certains de mes collègues travaillent en permanence à les rejoindre.

Hormis la crise de la COVID-19, quels ont été les évènements les plus marquants pour la Grande Bibliothèque ?

La grande exposition sur les bibliothèques du monde a été un moment très fort. Il y a aussi la montée spectaculaire du numérique, qui se poursuit : les deux tiers de notre clientèle nous viennent par cette voie.

La Grande Bibliothèque a été créée comme un espace classique, mais nous avons opéré beaucoup de développements : le Square, un laboratoire technologique où les jeunes peuvent s’initier à l’imprimante 3D ou à la couture métallique ; la Hutte, où ils sont accueillis par des robots et toutes sortes de technologies ; la Serre, réservée à l’initiation au numérique ; un espace consacré à la recherche d’emploi…

Elle demeure une grande bibliothèque avec ses collections universelles, mais s’est spécialisée par blocs, offrant des espaces « dédiés » et des activités culturelles, comme l’heure du conte ou des conférences. Des coopérations se sont aussi développées avec certains milieux : les aînés, les tout-petits, les étudiants, les immigrants, les itinérants.

Comment voyez-vous aujourd’hui la Grande Bibliothèque et sa pertinence, 15 ans après sa fondation ?

Tous les jours, je vois des centaines de dialogues entre bibliothécaires et usagers, c’est un monde fascinant à observer. Les gens viennent avec des besoins, des désirs, une attente. C’est comme un arbre immense, et on les aide à en cueillir les fruits. Presque 38 millions de visiteurs ont franchi les portes de la Grande Bibliothèque ces 15 dernières années. Certains disaient que cela ne marcherait pas, que c’était trop coûteux… je pense qu’il y a eu un plébiscite très clair sur le fait qu’elle répond à un très grand besoin.

Doit-on comprendre que la Grande Bibliothèque du XXIe siècle sera numérique ou ne sera pas ?

Le numérique est inscrit dans l’évolution du monde, et dans la nôtre. Même si nous restons attentifs à ceux qui restent attachés aux documents physiques, si l’on se projette dans les 15 prochaines années, il est certain que l’investissement ira dans le numérique. C’est un milieu extrêmement vivant et changeant. Si l’on prend la musique et les films, par exemple, c’est sûr qu’il va se créer de nouveaux espaces avec le numérique. Il y a aussi une entreprise numérique et de conservation considérable à mener en partenariat avec les Archives nationales du Québec et la Bibliothèque nationale du Québec. Le grand enjeu des prochaines années sera de ne pas nous tromper dans les besoins technologiques.

Avec cette poussée du numérique, ne craignez-vous pas la disparition de la bibliothèque en tant que lieu physique et de rencontre ?

Si je regarde le Canada et le reste du monde, je constate que les villes se dotent de grandes bibliothèques : Saskatoon, Ottawa, Edmonton, Halifax… Les gouvernements investissent dans ce lieu devenu rare. L’offre sera peut-être numérique, mais le besoin d’espaces communs, autour du savoir et de la culture, va rester. Dans la nouvelle Bibliothèque des sciences de l’Université de Montréal, qui est peut-être la plus avancée aujourd’hui dans la métropole, le rayonnage est extrêmement restreint, le reste étant des espaces de rencontre, des écrans, des accès à des documents numériques. Elle nous donne un peu l’idée de ce à quoi les bibliothèques vont ressembler. Elles devront constamment offrir de nouvelles technologies, deviendront bibliothèque et laboratoire – et c’est déjà le cas. Les bibliothèques ne vont pas fermer, elles vont changer.

Pour conclure, quel livre reflète le mieux, selon vous, la personnalité de la Grande Bibliothèque ?

[Rires] J’ai lu pas mal de livres dans ma vie ! Pour comprendre un peu qui nous sommes, dans un regard extrêmement bienveillant, mais critique, informé historiquement, mais intéressé par l’avenir, la personne la plus proche du collectif montréalais et québécois, c’est Gaston Miron. Il existe un livre étonnant qui s’appelle L’avenir dégagé. C’est une série d’entretiens qu’il a effectués, dans lesquels il n’était pas dans ses œuvres ni dans son cri primal, mais citoyen du monde vivant au Québec. Je l’offre et le recommande fréquemment.

La Grande Bibliothèque en chiffres

37 825 000 visites totales depuis l’inauguration
De 7000 à 8000 visites quotidiennes
7,7 millions de visites sur le portail de BAnQ en 2019-2020 (1 million en avril 2020)
1 658 133 livres imprimés détenus par l’institution
340 303 livres numériques proposés
205 bases de données