Aucun grand disque n'est sorti de l'imagination de Robert Smith et The Cure depuis 20 ans. Sur scène, ce groupe emblématique des années 80 est toutefois encore capable du meilleur comme on a pu le constater lors de son dernier concert marathon au Centre Bell, il y a cinq ans. Radiographie en pièces détachées d'une formation mythique, toujours influente, programmée en tête d'affiche d'Osheaga le 2 août.

Trilogie essentielle

Le son des Cure, c'est d'abord la trilogie qui mène à Pornography, point culminant et premier point de rupture pour The Cure. Le sentiment d'oppression déjà présent sur les deux disques précédents atteint un point de non-retour nihiliste («It doesn't matter if we all die», lance Smith en guise d'introduction). Avec Seventeen Seconds (plus introspectif) et Faith (carrément funéraire), le cauchemardesque Pornography jette un regard sombre sur le début de l'ère Thatcher et circonscrit la manière des Cure pour les décennies à venir: sentiment d'étrangeté au monde, romantisme adolescent, dépression magnifiée, guitares hantées, basse lourde et répétitive.

Princes noirs

Disintegration marque l'apogée de la version des Cure à six. Deux claviers (touchés par Lol Tholhurst et Roger O'Donnell) enrobent ces morceaux d'une mélancolie épique, aqueux jusqu'à l'orage (la pièce titre) et gonflés de nostalgie (Pictures Of You). Disintegration, d'une certaine manière, c'est Seventeen Seconds à la puissance 1000: plus ambitieux, plus orchestré, plus fébrile aussi. Avec ce disque, The Cure atteint un sommet de popularité: il se produit dans des stades en Angleterre et même en Amérique (au Giant Stadium). Ses orchestrations demeurent grandioses... bien que l'ensemble ait un peu vieilli.

L'arme secrète

L'inimitable voix de Robert Smith est un fondement du son des Cure. Son arme secrète, en particulier à ses débuts, c'est toutefois une basse électrique facile à confondre avec une guitare: la Fender VI. D'un diamètre plus petit que celles d'une basse ordinaire, ses six cordes sont accordées un octave plus bas qu'une guitare. Robert Smith a souvent été photographié avec une Fender VI blanche au début des Cure. Une version noire de cet instrument qui partage bien des caractéristiques avec les Fender Jazzmaster et Jaguar est aussi passée dans les mains de plusieurs de ses collègues.

Un peu d'humour

Marqué au khôl noir, The Cure traîne avec raison l'image d'un groupe sombre. Or, Robert Smith possède néanmoins un sens de l'humour presque gamin qui pointe dans des sourires malicieux, des clips débiles et chansons pop presque parfaites. On en a eu un aperçu dès 1984 avec Let's Go to Bed et The Lovecats, mais l'incarnation parfaite de ce trait de personnalité des Cure c'est la swinguante Why Can't I Be You, tiré de l'ambitieux album double Kiss Me Kiss Me Kiss Me. Robert Smith les cheveux presque courts dans un costume de petit chien-chien? Mais si, mais si!

L'éternel malentendu

«Mort à l'islam!», «Tous les membres des forces armées américaines devraient écouter cette chanson», «Tuons-les tous», il suffit de lire des commentaires sur YouTube pour constater que, 35 ans après sa parution, la chanson Killing An Arab demeure l'objet d'un énorme malentendu. The Cure a souvent réfuté les interprétations racistes faites de cette chanson inspirée par la scène clé du roman L'étranger d'Albert Camus. Menacé de censure en 1986, lorsque le titre a été inclus sur la compilation Standing On A Beach (1986), le groupe avait apposé un autocollant explicatif sur ses disques et ses cassettes.

Hors curriculum

The Cure est au bord du naufrage après Pornography. Simon Gallup part (il reviendra trois ans plus tard, en 1985) et Robert Smith multiplie les projets parallèles. Avec son ami Steve Severin, de Siouxsie & The Banshees, il forme The Glove et lance un album pas très convaincant dont on retient au plus la chanson Like An Animal. Smith, qui a déjà accompagné Siousxie sur scène, participe à plusieurs enregistrements du groupe qui apparaissent sur l'album Hyaena et à une reprise de Dear Prudence des Beatles.

Père du post-rock?

Prétendre que The Cure est le père du post-rock est assurément exagéré. Or, il n'est pas du tout farfelu de les inclure parmi les précurseurs du genre. La raison? Carnage Visors, long morceau instrumental d'une vingtaine de minutes, écrit pour le film du même nom réalisé par le frère de Simon Gallup. Disponible uniquement sur une version cassette de l'album Faith pendant longtemps, la pièce nocturne marquée par un lent crescendo et des répétitions de motifs est désormais disponible sur iTunes - à l'achat de l'album complet...

Influence

L'influence des Cure est souvent diffuse... et parfois très directe. Écoutez 1979 de Smashing Pumpkins, pensez aux versions de Just Like Heaven par Dinosaur Jr. et Katie Melua. Même Adele leur rend hommage, en quelque sorte, en reprenant Lovesong sur son disque 21. On entend aussi clairement des relents des Cure chez Interpol, The Rapture, The XX et, plus récemment, chez les filles de Savages, profondément marquées par le post-punk du début des années 80.