«Evolution is too slow, evolution is too old fashioned», a déjà crié Jon Spencer. Avec son Blues Explosion, il a déconstruit les racines américaines à grands coups de scie mécanique pour engendrer sa propre lignée bâtarde de rock et de blues: une charge primale, survoltée et abrasive. Après quelques années d'absence, le trio réédite ses premiers disques et repart enfin en tournée. On en discute avec M. Spencer lui-même.

Q : Pourquoi relancer maintenant le Jon Spencer Blues Explosion?

R : Le groupe n'était pas mort, on était seulement inactifs, disons en pause depuis 2004. On se réunissait parfois pour un petit concert ici et là. C'était facile, on habite tous New York. Il fallait donc seulement un petit coup de téléphone pour qu'on recommence officiellement. La réédition de nos premiers albums (épuisés) a fourni le prétexte pour le faire.

Q : Enregistrerez-vous un nouveau disque?

R : Peut-être. On prend ça lentement mais on a déjà des idées. Il y a quelques jours, on a participé à un festival à Chicago. LCD Soundsystem y jouait aussi. Un ami a dit: vous devriez faire un disque avec James Murphy (leader de LCD). Ce serait excitant. On se connaît, on a déjà travaillé ensemble. (...) En parallèle, mon groupe (de rockabilly) Heavy Trash continue aussi. On entre en studio à la mi-août.

Q : On dit souvent que vous avez déconstruit ou désacralisé le blues. Le percevez-vous ainsi? Et si oui, était-ce intentionnel?

R : On ne s'est pas réunis dans un salon pour se dire: hey, les gars, déconstruisons le blues! Personne n'avançait en suivant un tracé planifié à l'avance. Sinon, quelque chose d'important se serait perdu. J'agissais plus par instinct, à la recherche d'une musique purement physique et émotive, celle qui laisse une trace. Mais avec le recul, je constate que oui, cela a enfanté quelque chose d'ingénieux, une déconstruction de plusieurs idiomes musicaux.

Q : Le groupe ne compte pas de bassiste. Avez-vous déjà songé à en engager un?

R : Le groupe a commencé par accident: trois gars qui aimaient jouer ensemble. Sauf que personne ne voulait jouer la basse. À trois, on a créé une intensité très particulière. Si un autre musicien se joignait au groupe, il nous encombrerait. Alors on n'en a jamais cherché. Et puis, on peut ajouter des overdubs au besoin en studio.

Q : Votre voix exsude une vitalité féroce et primale. Vous criez et hululez plus que vous ne chantez. Avez-vous été marqué par des vieux pionniers comme Howlin' Wolf?

R : Bien sûr, c'est un de mes favoris. Les pionniers du rock'n'roll et du blues m'ont influencé un peu, mais je m'inspire de beaucoup d'autres trucs. J'admire certaines voix du hip-hop ou du post-punk, comme Chuck D. de Public Enemy et Mark E. Smith des Falls.

Q : Plusieurs nouveaux groupes rock carburent au spleen. Leur sérieux vous ennuie-t-il?

R : Pas mal, oui. Je reste un primitiviste. Je trouve qu'on retire plus des choses simples comme le rock'n'roll, cette célébration de la vie. J'ai grandi dans les années 70 dans un petit village du New Hampshire, où la radio jouait de la musique affreuse, affectée et larmoyante. Des trucs comme Bruce Springsteen ne m'intéressaient pas du tout. Peu importe ce qu'on dit, ce n'est pas du rock'n'roll. Peut-être de la poésie, mais pas du rock.

Q : Vous vous démarquez d'eux avec ce qu'on pourrait appeler votre personnage de scène...

R : C'est une performance, non? Pas besoin d'être grave ou supposément authentique. Je refuse cette mentalité héritée des poubelles hippies des années 60 et 70. Pourquoi ne pourrais-je pas être calme et réfléchi en interview et devenir un freak sur scène? Pas besoin de toujours rester le même pour créer du véritable art. Et puis, d'une certaine façon, ce sont tous des différents visages de moi.