Le Festival international Nuits d'Afrique donne cette année une grande place aux voix féminines. Parmi celles-ci, celle de Meklit Hadero, qui résonnera au Théâtre Fairmount demain soir.

On savait l'Américaine Meklit Hadero originaire de l'Afrique de l'Est et... on ne cherchait pas forcément l'angle culturel lié à ses origines. Ni dans sa discographie ni dans ses prestations devant public.

Vint cet album en juin 2017, sous étiquette Six Degrees: When the People Move, the Music Moves Too allait changer la donne.

«Cet album est beaucoup plus marqué par la musique éthiopienne qu'auparavant. Cette approche s'intègre à ma passion pour la création de chansons en tant qu'auteure et compositrice», corrobore Meklit, jointe à son domicile de San Francisco.

Sur la route des musiques mondiales d'ascendance noire, elle s'est déjà arrêtée aux Nuits d'Afrique. On avait alors observé un corpus de chansons beaucoup plus proche du folk et de l'indie pop anglo-américaine que de tout cousinage éthiopien ou même afro-américain, corpus par ailleurs de grande qualité.

Des sciences politiques à la musique

Native de l'Éthiopie, Meklit Hadero a grandi aux États-Unis avec ses parents. Promise à un avenir universitaire, elle a mené des études brillantes en sciences politiques à la prestigieuse Université Yale pour ensuite choisir la création et l'interprétation de chansons.

Intellectuelle aguerrie, artiste engagée et leader esthétique, elle a fondé l'Arba Minch Collective, regroupement d'artistes de la diaspora éthiopienne. Elle est impliquée au sein de la conférence TEDGlobal. Elle a été commissaire d'oeuvres au Lincoln Center Atrium, de même qu'à la San Francisco Arts Commission. Elle a travaillé avec l'Association of Performing Arts Presenters (APAP) afin d'y créer un programme de bourses d'artistes. Elle est panéliste et évaluatrice de subventions pour le National Endowment for the Arts. Elle met finalement son art au service d'organismes d'aide aux migrants.

«Dans mes chansons et ma démarche artistique, il y a quelque chose de mon passé universitaire en sciences politiques. Je prends les mots très au sérieux.»

Jusqu'à la sortie de l'album We Are Alive, soit en 2014, Meklit a mené une carrière à cheval sur la chanson et les mouvances world, jusqu'à ce que...

«Le parrain de l'éthio-jazz, Mulatu Astatke, est venu me voir après mon spectacle présenté à Addis-Abeba. Il m'a prise à part et m'a dit ceci: "Ne joue pas l'éthio-jazz comme nous l'avons déjà fait. Tu dois innover et trouver ta propre contribution à cette musique. Trouve cette place!"»

Cette recommandation n'est pas tombée dans l'oreille d'une sourde.

«Mulatu Astatke est un des grands penseurs de la musique moderne d'Éthiopie, et la redite ne l'intéresse pas. Il ne voit pas la culture de manière statique, il souhaite que l'éthio-jazz ait une vie au-delà de son oeuvre et celle de ses contemporains. Il évolue à travers ses racines et se projette dans l'avenir. Il m'a alors habilitée en me confiant cette grande tâche. J'ai longuement réfléchi à cette conversation, et alors je me suis mise au travail.»

Renaissance culturelle

Ce virage africain de Meklit coïncidait avec une renaissance culturelle en Afrique orientale. L'excellente collection Éthiopiques a d'ailleurs mis en relief ces nombreux enregistrements réalisés à Addis-Abeba, soit de la fin des années 50 au tournant des années 70. L'éthio-jazz se voulait alors une fusion du patrimoine de l'Afrique orientale avec le jazz moderne et le R & B. On sait que des problèmes de violence politique avaient stoppé cet élan moderniste.

Quatre décennies plus tard, l'apaisement dans la métropole de l'Éthiope en favorise la relance. Dans la foulée, Meklit a assimilé les modèles rythmiques et gammes mélodiques éthiopiennes, enfin beaucoup plus sérieusement qu'elle ne l'avait fait auparavant.

Plus précisément, on appelle «kignit» les gammes mélodiques éthiopiennes, échelles pentatoniques (à cinq notes) mineures et majeures. Ajoutons que les phrases typiques de cette musique sont au croisement de l'Afrique et du Moyen-Orient, certaines inflexions arabisantes l'illustrant très clairement.

«J'ai passé six mois en studio à écrire de nouvelles chansons, à en enregistrer les maquettes. Le rythme était le point de départ de mes chansons. Parallèlement à ces choix de rythmes, j'avais constitué une banque de mélodies imaginées quotidiennement en faisant la vaisselle ou en conduisant ma voiture ou encore en me baladant dans la rue... Je les ai toutes enregistrées sur mon téléphone, j'en ai récolté une centaine pour ensuite les imbriquer dans les rythmes et leur coller des textes... Ces chansons ont été créées couche par couche, et plusieurs ont été testées devant public.»

Onze d'entre elles furent sélectionnées pour cet album. L'album fut réalisé par l'Américain Dan Wilson, qui avait déjà travaillé auprès d'Adele pour le fameux album 21.

«Il est l'un des musiciens les plus incroyables que j'ai rencontrés. Il y a deux ans, il m'a donné les premiers feedbacks de mes nouvelles chansons. Il m'a fait réaliser comment mes chansons pourraient grandir davantage. Il m'a suggéré de refaire des ponts, de composer un hymne qui me décrirait exactement [I Want to Sing for Them All], et il m'a encouragée à composer une tizeta, soit une chanson éthiopienne de désir et de nostalgie, aussi inspirée de Yesterday des Beatles, que j'avais entendue à la radio lorsque George Martin est mort.

«Nous avons aussi coécrit deux chansons en studio, Memories of the Future et Damn and Me, précise en outre l'auteure-compositrice. De plus, Dan Wilson a invité Andrew Bird et le Preservation Hall Jazz Band à participer aux séances. Il m'a suggéré des sons, des instruments précis, des idées de mixage. Enfin, il a su m'apprendre à écouter ma voix intérieure, me rendre plus autonome.»

Et voilà le travail. Plus éthiopien que jamais... quoique toujours hybride, à l'image de Meklit.

«Ce n'est pas totalement éthiopien, pas totalement afro-américain, c'est à la fois occidental et africain. Ça m'appartient», conclut cette femme mondiale.

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Au Théâtre Fairmount demain, Meklit Hadero se produit avec bassiste, saxophoniste, batteur et percussionniste. Elle jouera les guitares et le krar, instrument à cordes traditionnel de l'Éthiopie.

Quatre voix féminines à découvrir à Nuits d'AfriqueDjazia Satour

Théâtre Fairmount, mercredi 18 juillet, 20 h

Algéroise de naissance, Djazia Satour a migré vers Grenoble en 1990, où elle a été choriste au sein du collectif Gwana Diffusion puis soliste de MIG, un groupe très porté sur la soul et le trip-hop. Sa carrière solo fait le lien entre son patrimoine nord-africain et les musiques occidentales ayant marqué son imaginaire. Ainsi, ses rares enregistrements réunissent les deux rives de la Méditerranée, aussi les deux rives de l'Atlantique. Chantant en arabe dialectal ou en anglais, elle mise sur une instrumentation à la fois rock, blues, soul pop, trip-hop ou chaâbi. En chantier depuis 2016, un nouvel opus de Djazia Satour est attendu dans un avenir proche. 

Banda Kakana

Club Balattou, jeudi 19 juillet, 20 h 30

Yolanda Chicane se destinait à une carrière en génie environnemental, mais... ses amis la savaient excellente chanteuse et la poussèrent à se présenter à un concours télévisé. Cette contralto naturelle devient alors la soliste de la formation Optimistas. Puis elle changea son nom de famille pour Kakana, qui désigne un légume typique du Mozambique. En 2004, elle devenait la figure de proue de Kakana, confondé avec le guitariste et réalisateur Jim Gwaza. En portugais, en anglais, en shangaan, en macua ou en chope, Kakana chante les réalités et les rêves du Mozambique. Les mots sont portés par des sonorités composites: musiques d'Afrique australe, mais aussi rock, funk ou même jazz.

Photo fournie par Nuits d’Afrique

Djazia Satour

Ladama

Parterre du Quartier des spectacles, mardi 17 juillet, 20 h (gratuit)

Ladama est un quartette panaméricain au féminin: Lara Klaus, Daniela Serna, Mafer Bandola et Sara Lucas proviennent de quatre contrées des Amériques: le Brésil, la Colombie, le Venezuela, los Estados Unidos... Pour le moins énergiques, ces musiciennes, chanteuses et pédagogues sont férues de cumbia, joropo, samba, porro, onda nueva et autres maracatu, styles latino-américains ou caribéens. Elles choisissent d'accompagner leurs chants d'instruments traditionnels et acoustiques, mais aussi de lutheries électriques ou électroniques. Paru à l'automne 2017, le premier album homonyme de Ladama dénonce au passage la sous-représentation des femmes dans le paysage musical latino. 

Artiz

Parterre du Quartier des Spectacles, 22 juillet, 18 h 30 (gratuit)

Le groupe haïtien Artiz réunit trois chanteuses et cinq multi-instrumentistes. Cette formation est pionnière dans l'île Magique: rien à voir avec le prévisible girl band! Depuis 2014, les femmes d'Artiz connaissent une progression rapide sur le territoire de la pop antillaise, fusionnant les styles afro-caribéens et africains. Elles chantent bien sûr l'amour, mais aussi les dommages collatéraux de la passion - violence faite aux femmes, précarité de la santé physique ou psychologique, etc.

Photo fournie par Nuits d’Afrique

Le groupe Ladama