Parmi les impacts directs de la mondialisation culturelle, force est d'observer la floraison du rock dans plusieurs grandes villes hors de l'Occident. On connaît le métal et le hard rock indiens, par exemple, mais on connaît peu le garage punk de l'océan Indien: The Dizzy Brains, excellent groupe d'Antananarivo, en est la tonitruante illustration.

Le groupe est né en 2011, initiative des frères Eddy (chant) et Mahefa (basse) Andrianarisoa. En 2015, ces «Cerveaux étourdis» se sont illustrés au festival Libertaria Music à Madagascar, où ils ont été découverts par des journalistes et tourneurs français. À la fin de cette même année, ils ont savouré leur premier triomphe hexagonal aux Trans Musicales de Rennes.

Depuis peu, la carrière des Dizzy Brains s'est déplacée en France, où le groupe réside actuellement et d'où il rayonne en Europe, en Afrique du Nord, en Asie et, pour la première fois, en Amérique du Nord. Deux albums (Môla Kelly, 2014, Out of the Cage, 2016) et un EP (Vangy, 2015) ont été rendus publics depuis la fondation du groupe - les deux derniers sous étiquette X Ray Production.

Comment, au fait, devient-on artiste rock à Madagascar ? D'abord en fouillant dans la discothèque de papa.

«Notre père est un entrepreneur en construction. Il est aussi guitariste amateur et fan de rock. Normalement, les parents ne s'intéressent pas à la culture populaire de leurs enfants, ils les laissent faire leurs choix avec la télé, la radio ou l'internet. Avec notre père, ce fut différent: il a insisté pour nous faire écouter sa musique. Au début, on n'aimait pas trop, on trouvait qu'il y avait trop de saturation dans le rock, on ne comprenait pas. Au fil du temps, on a su apprécier», raconte Eddy, joint en France à la veille de la grande traversée vers Montréal.

Ainsi donc, les frangins Andrianarisoa ont absorbé la substantifique moelle des Stones, AC/DC, Kinks, Scorpions, Led Zeppelin, ZZ Top, The Ramones, Iggy Pop, mais aussi le rock et yéyé français de Johnny Hallyday, Chaussettes noires d'Eddy Mitchell, Jacques Dutronc et autres Serge Gainsbourg. Bien au-delà des espérances de papa!

«L'internet nous a ensuite permis d'explorer ailleurs, on a pu voir et connaître d'autres groupes un peu partout dans le monde. Parmi les artistes plus actuels, nous aimons entre autres Arctic Monkeys, The Strypes, Gorillaz, Muse... Tout le gratin rock, quoi.»

Garage punk irrévérencieux

The Dizzy Brains ne font pas dans la dentelle, leur approche garage punk exclut tous les arrangements et extensions harmoniques. On les dit irrévérencieux, notamment à l'endroit du pouvoir malgache; au passage, les garçons peuvent écorcher les tenants de l'ordre établi, dénoncer la corruption et la pauvreté endémiques dans leur île-continent, même balancer au premier ministre un «Fais ton boulot, mec!» bien senti.

«Nous sommes rock, martèle Eddy. L'idée est d'être simple et sauvage. Nous n'aimons pas les musiques qui font trop de chichi. Nous n'aimons pas les claviers, nous préférons nous en tenir à l'instrumentation basse, batterie et guitares avec peu de pédales d'effet. Ce qui nous caractérise, c'est d'être basiques tout en étant perfectionnistes et sophistiqués dans l'exécution.»

Est-il besoin de rappeler à notre jeune interviewé que le rock ne traverse pas une période glorieuse de son histoire? On l'imagine hausser les épaules. «Ça, on sait», dit-il.

«Après quoi la musique, pour nous, ce n'est pas une question de période ou pas période. On aime le rock et c'est tout. On n'avait pas d'autre choix que d'accepter et d'assumer cette passion.»

«On nous dit souvent qu'on a des goûts classiques, c'est peut-être vrai... mais c'est comme ça. En même temps, on écoute d'autres musiques que du rock; nous aimons le rap et le funk, par exemple, on peut en tirer quelques éléments et les adapter à notre musique», ajoute-t-il.

Madagascar, pays métis depuis la nuit des temps, est musicalement très riche. Et... très peu de ce patrimoine est transmis dans les synapses des Dizzy Brains, qui comptent lancer un troisième album à la fin de 2017 ou au début de 2018. La plus large part de leurs paroles sera interprétée en anglais, le reste en malgache ou en français - on leur doit d'ailleurs une reprise vitriolique des Cactus, grand classique de Jacques Dutronc.

«Nous ne sommes pas fermés à l'idée d'intégrer des petites touches de musique malgache, convient Eddy, mais nous voulons d'abord être considérés comme un groupe de rock. Nous avons été acceptés comme tels depuis nos débuts, nous voulons rester avec cette identité rock.»

Qu'on se le tienne pour dit.

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Le groupe The Dizzy Brains se produit à la Sala Rossa, ce soir, à 21 h, dans le cadre des Nuits d'Afrique.