La chanteuse malienne Inna Modja nous a déjà visités en 2012, alors qu'elle était en voie de devenir une pop star à la suite de la sortie de son deuxième album Love Revolution, paru chez Warner France. Et puis elle a fait un virage à 180 degrés avec Motel Bamako, un des très bons albums africains sortis l'an dernier. Et c'est ce dont il sera question ce soir au Théâtre Fairmount.

«Love Revolution m'avait permis de m'amuser et de toucher un maximum de gens, c'était mon envie du moment. Je me suis amusée, j'estime avoir fait quelque chose de cool. Puis, j'ai tourné avec cette musique pendant deux ans, j'ai appris à me sentir plus à l'aise avec le public. Au terme de cette expérience, j'ai eu envie de montrer davantage qui j'étais.»

Avec raison, d'ailleurs: la trajectoire de cette splendide Inna Modja est peu banale. À peine descendue de l'avion, la trentenaire nous en a fait le récit palpitant.

Inna Bocoum est née à Bamako, elle est la sixième d'une famille de sept enfants. Sa mère malinké vient de Siguiri, en Guinée, son père est peuhl de la région de Tombouctou, dans le nord du Mali.

Puisque le papa travaillait au ministère des Affaires étrangères, sa famille a pu vivre quelques années au Ghana où la jeune fille a appris l'anglais. Elle avait 11 ans lorsque la famille est rentrée à Bamako, elle a fait partie de choeurs et pris goût au chant. «Mes parents sont ouverts d'esprit, ils m'ont encouragée à chanter, expérimenter, vivre mes passions.»

Adolescente, Inna a fait une rencontre déterminante: tout près de chez elle habitait Salif Keita, l'un des plus grands chanteurs de toute l'Afrique.

«J'avais 14 ans et il fut mon premier mentor. Grâce à lui, j'ai pu me joindre à l'occasion au Rail Band de Bamako, avec lequel j'ai beaucoup appris. Puis j'ai rencontré Habib Koité qui m'a fait faire ses premières parties.»

À 19 ans, Inna Bocoum est allée faire des études supérieures à Paris et... la musique n'était pas au programme. «J'ai dû prendre ma vie en main. Après six mois passés en France, je devais me débrouiller toute seule. Je suis partie de zéro! Ma seule richesse était mon éducation et mes valeurs familiales, je savais qu'on n'allait rien me donner.»

Elle a obtenu une licence en lettres et fait une école de commerce. Parallèlement, elle écrivait des chansons, pour elle et pour des amis. «Même si je n'avais pas le temps de m'y consacrer entièrement, j'avais gardé l'envie de faire de la musique. Une fois mes études terminées, je m'y suis consacrée entièrement.»

Une fille pas comme les autres

Inna Bocoum est alors devenue publiquement Inna Modja, qui signifie en peuhl «qui n'est pas bien», un surnom donné par sa mère afin d'évoquer sa personnalité farouche, indomptable. Inutile d'ajouter qu'elle ne serait pas comme les autres.

«Je ne voulais pas être associée à la world music comme plusieurs l'entendent. Malheureusement, il y a encore cette attente de reprendre la musique traditionnelle. Mes origines sont importantes, mais j'avais envie de mener ça ailleurs.»

Ainsi, il y aurait l'Afrique de l'Ouest dans la musique d'Inna Modja, mais il y aurait aussi l'Amérique et l'Europe.

«Mes chansons représentent ce à travers quoi je suis passée: j'ai commencé avec la musique malienne, mais j'ai aussi une culture de l'Afrique anglophone (Ghana, Nigeria) et une culture occidentale, soul, rock, R&B. Je voulais m'éloigner de tous les clichés africains, je voulais exister par moi-même.»

Du coup, elle a enregistré Everyday Is a New World, un premier album folk pop teinté de soul, interprété en anglais. Ce fut ensuite l'épisode soul pop de Love Revolution, après quoi elle a eu envie de «revenir à la maison».

La soul/R&B et le hip-hop sont à l'ordre du jour de Motel Bamako, mais les racines maliennes infusent dans la marmite: blues du désert et musiques mandingues se sont greffés à cet album beaucoup plus créatif que les précédents, dont les textes sont chantés en anglais, mais aussi en bambara.

Inna Modja a mis trois ans à compléter cette mutation: plusieurs mois passés avec des musiciens de Bamako, une autre année à Londres avec des beatmakers et réalisateurs qui n'ont rien à voir avec la pop, suivie de maints allers-retours entre la France et le Mali.

Le drame de l'excision

Les thèmes de la songwriter devenue trentenaire y sont plus personnels, ses engagements font partie de son univers chansonnier, à commencer par son combat contre l'excision.

«À l'insu de mes parents, mes soeurs et moi avons toutes été excisées après avoir été enlevées par différents membres de notre famille élargie. J'ai quand même eu de la chance, car j'ai eu droit à une chirurgie de reconstruction qui a fonctionné. Ça m'a sauvé la vie, mais je porte les marques physiques et psychologiques de cet acte très violent.»

Depuis 11 ans, Inna Modja milite publiquement contre l'excision des jeunes filles africaines. En France, elle est aussi la marraine d'une maison pour les femmes en difficulté, à Saint-Denis.

«Je n'ai ni peur ni honte d'affirmer que je suis féministe. Dans les pays africains, il y a beaucoup plus de féministes que vous ne le croyez!»

La chanteuse est aussi très préoccupée par la période difficile que traverse le Mali depuis que le Maghreb islamique a perturbé profondément le nord du pays.

«Ce pays allait très bien, la mentalité malienne est généralement douce et paisible, puis, il y a quatre ans, toute une région est tombée entre les mains de djihadistes terroristes. Encore aujourd'hui, c'est dangereux dans la région de Tombouctou, les enlèvements font partie du business.»

À l'évidence, l'histoire d'Inna Modja est loin d'être terminée...

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Au Théâtre Fairmount ce soir, à 20 h.