Comme c'est le cas pour l'afrobeat du Nigeria, le groove éthiopien compte plusieurs adeptes musiciens résidant hors du pays qui en est le creuset. Ainsi, le Debo Band bostonnais est en quelque sorte à cette musique ce que le groupe new-yorkais Antibalas est à l'afrobeat, quoique sa direction soit assurée par un artiste américain issu de cette culture en ébullition.

«Mes parents sont Éthiopiens. Ils ont fui le pays pendant la guerre civile des années 70. Ils ont trouvé refuge au Soudan avant de s'établir aux États-Unis. Je suis moi-même né au Soudan, au sein de cette communauté de réfugiés. Mes parents furent de la toute première génération d'Éthiopiens aux États-Unis. Aujourd'hui, les plus importantes communautés d'Éthiopiens en Amérique du Nord se trouvent à Washington, Los Angeles et Toronto», explique le saxophoniste Danny Mekonnen, cofondateur et directeur musical du Debo Band.

Joint à son domicile du Massachusetts, il nous apprend qu'il a grandi au Texas. Il y a étudié la musique à l'Université d'Arlington, et ensuite poursuivi ses études à Boston, plus précisément à Harvard, où il a fait un doctorat en ethnomusicologie.

«Je suis chercheur et je mène un projet musical, c'est ainsi que je me définis. Le groupe dont j'assure la direction est constitué de musiciens éduqués (Berklee, New England Conservatory) et d'autodidactes qui ont suivi d'autres formations. Pour la plupart, nous vivons à Boston. À ses débuts, le Debo Band était composé de cinq Éthiopiens et de sept Américains. Nous sommes actuellement deux Éthiopiens, soit le chanteur Bruck Tesfaye et moi-même. Les autres sont des Américains d'origines diverses.»

Terreau fertile

Cela étant, plusieurs membres du Debo Band ont parcouru l'Éthiopie au moins une fois. Danny Mekonnen, lui, est allé à plusieurs reprises afin de s'abreuver aux sources de cette culture moderne.

«Addis-Abeba, affirme-t-il, regorge de nouvelle musique. Là-bas, les musiciens peuvent compter sur plusieurs clubs et autres lieux propices. Le mouvement est observable depuis une dizaine d'années. La scène a littéralement explosé, on n'arrive plus à en suivre toutes les tendances.»

Et pourquoi la capitale est-elle musicalement si fertile?

«On y ressent une grande indépendance spirituelle, pense Mekonnen. L'Éthiopie est un territoire fort et fier qui n'a jamais été colonisé par les Occidentaux. La culture est restée dynamique dans un contexte de modernisation. Les artistes y sont encouragés par le public local, on y recense une foule d'instrumentistes - guitares, claviers, percussions, instruments à cordes ou à vent, instruments traditionnels. Et on y trouve même des prodiges. Samuel Yirga, par exemple, est un virtuose du piano entièrement formé en Éthiopie.»

Malgré la grande admiration qu'il voue aux musiques éthiopiennes, le leader du Debo Band entend proposer une facture qui lui est propre.

«Nous cherchons d'abord le son d'un grand ensemble, au minimum 10 musiciens, avec une instrumentation intéressante: instruments à vent, dont le tuba et le sousaphone, violons, accordéon, embilta, etc. Dans cette optique, nous nous inspirons également d'orchestres de jazz contemporain. Par exemple, les ensembles de Charles Mingus ou le Charlie Haden Liberation Music Orchestra nous intéressent, car ils s'ouvraient à des orchestrations plus aléatoires, plus viscérales.

«Côté éthiopien, nous cherchons aussi un son un peu plus cru que celui du leader Mulatu Astatke, pour ne citer que cet exemple, parce qu'il est venu chez vous, dimanche dernier, au Festival international de jazz de Montréal. Personnellement, je préfère le son des orchestres du saxophoniste Gétatchèw Mèkurya, plus proche des racines de la musique éthiopienne. Enfin, je m'inspire aussi de plus jeunes musiciens éthiopiens comme Teddy Afro.»

Ainsi, le Debo Band met de l'avant une vision très ouverte de cette musique éthiopienne somme toute très variée, et qui a désormais ses prolongements en Occident.

Danny Mekonnen résume et conclut: «Nous valorisons les polyrythmes et les gammes pentatoniques qui prévalent en Éthiopie, et nous y ajoutons des éléments de notre culture américaine. Notre attitude est plus rock et comporte des dissonances typiques du jazz contemporain. Cela illustre notre identité, mais la racine est toujours là.»

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Le Debo Band se produit ce soir, 20h30, au Cabaret du Mile End.