Si Roosevelt Saillant alias B.I.C. pouvait compter sur les moyens dont disposent majoritairement les professionnels du circuit international, il deviendrait une star de la chanson créole. Et ce, bien au-delà d'Haïti et de sa diaspora où il est d'ores et déjà reconnu. Sa tâche imminente consiste à déborder le cadre communautaire, ce qui n'est pas une mince affaire lorsqu'on réside à Port-au-Prince et qu'on décide d'y rester pour de bon, d'y participer à sa reconstruction et au raffinement de sa culture.

Toujours est-il que, dimanche soir aux Nuits d'Afrique, le Cabaret du Mile-End était rempli aux deux-tiers. Pourquoi donc? Fidèles à leurs habitudes, les Haïtiens de Montréal préfèrent acclamer entre eux les artistes issus de leur peuple, dans des salles réservées par leur communauté. Quelques douzaines de fans étaient néanmoins venus aux Nuits d'Afrique, auditoire modeste renforcé par un petit public de curieux qui a eu vent de la rumeur.

La formation de B.I.C. était composée de musiciens de Port-au-Prince et de Montréal. Bon batteur, bon bassiste, guitares et claviers de seconde division, bardes honnêtes que chapeautaient deux chanteurs magné... bics! Rutshelle Guillaume possède une voix puissante et les inflexions typiques de la créolité. Elle donnait des répliques sensuelles et bien dosées à son employeur, dont l'autorité sur scène ne faisait aucun doute.

Belle plume, belle voix, belle gueule créole.

La force de ses mots et celle de son organe vocal bellement ensablé sont des atouts majeurs pour B.I.C.. Il puise non seulement dans la culture de la chanson haïtienne mais aussi dans la jamaïcaine, dans le hip hop et le slam. Ces mots créoles sont prononcés avec une telle clarté que les non créolophones peuvent en goûter les prouesses phonétiques et même en saisir très souvent le sens et la diversité du propos. Politique, amour, désir, assomption de la dualité bien-mal, adversité, justice, injustice, réprobation de l'anti-intellectualisme, promotion de l'éducation, espoir, ironie, mort, dévastation...

Bien au-delà de cette nomenclature, Roosevelt Saillant sait écrire des chansons qui restent en tête et qui burinent l'imaginaire de ceux qui en sont immergés. Si les plus âgées de son répertoire tiennent davantage de l'exercice de style et de formes parfois surannées, les plus récentes relèvent de la maîtrise. On retient des titres: Alèkile, Mèsi Ti Cheri Doudou, Kè Klete, Nou Byen Mal, Pwen Final...

Beaucoup à réfléchir, beaucoup à ressentir chez B.I.C..