Lorsqu'elles se sont produites aux Nuits d'Afrique en 2006, les percussionnistes de Nimbaya s'exprimaient sous la bannière Amazones de Guinée et ratissaient la planète depuis 1998. Une génération plus tôt, il eût été impensable de fonder un groupe féminin aussi explosif, la percussion étant l'apanage traditionnel de la gent masculine. Les choses seraient en voie de changer dans ce pays où l'excision est encore pratique courante... et vertement dénoncée par les huit musiciennes, chanteuses et danseuses.

Mamoudou Conde, directeur artistique de la troupe, en explique et en rappelle les origines:

«Dans le pays Baga, en Basse-Guinée, Nimbaya est le masque protecteur de la femme. Ce nom était plus approprié pour le groupe que les Amazones de Guinée, car il a été formé au départ pour venir en aide auprès de femmes vivant des situations très difficiles. En Afrique, il faut dire, les garçons et les jeunes hommes peuvent compter sur  beaucoup plus d'assistance que les jeunes femmes. Ainsi, très majoritairement, les jeunes femmes ne vont pas à l'école. Les femmes recrutées au sein de Nimbaya étaient démunies, presque abandonnées, sur le point de se retrouver dans la rue. Jamais elles n'auraient pu imaginer se rendre où elles sont. Aujourd'hui, la plupart d'entre elles ont des enfants, certaines sont mariées. Elles peuvent exercer leur profession à travers le monde car leur famille dépend d'elles financièrement. Le soutien familial est alors assuré par leurs proches.»

Puisqu'elles sont devenues des vedettes nationales, puisque le rapport de dépendance s'est quasiment inversé avec leur succès, les artistes de Nimbaya ne seront plus jamais rejetées, force est de déduire:

«Avant de jouer le tam tam, je jouais de la guitare. La percussion a changé ma vie lorsque j'ai appris de nos maîtres, Lamine Camara et Fode Camara. J'ai été formée pendant cinq ans avant d'atteindre ce niveau. Nous, les femmes de Nimbaya, continuons à travailler avec des maîtres. Plusieurs nous approchent et manifestent le désir d'apprendre la musique. À notre tour, nous enseignons aux filles, aux femmes, aux enfants. Nous sommes très fières d'être devenues des modèles», soulève Aicha Conde, 36 ans, spécialiste du djembé et du balafon.

Qui plus est, Mamoudou Conde dit encourager les percussionnistes, chanteuses et danseuses de Nimbaya à transgresser leurs apprentissages: «Elles créent un pont qui relie musique traditionnelle et musique moderne. Elles sortent des codes traditionnels de manière à se connecter directement avec les autres cultures. Certains morceaux sont carrément différents, on en ressent la modernité. Dans notre nouvel album, il y a même un lien entre musique traditionnelle et hip hop.»

Aminata Camara, spécialiste du djembé et doyenne du groupe à 52 ans, est très consciente des responsabilités qui accompagnent cet accomplissement remarquable:

«Si nous sommes devenues féministes? Bien sûr! Nous sommes décidées à promouvoir l'émancipation de la femme africaine en prenant notre destinée en mains avec nos instruments traditionnels. Nous sommes engagées contre la violence faite aux femmes et aux enfants, contre la discrimination fondée sur le sexe. Nous nous battons contre la pauvreté, la prostitution, le sida, la drogue. Nous adoptons plusieurs causes.»

La plus délicate des causes? L'excision, pratiquée encore aujourd'hui sur une majorité absolue de femmes en Guinée. Selon une étude française de l'Institut national d'études démographiques publiée en 2007, la Guinée arrive au premier rang du triste palmarès de l'excision en Afrique: en 2005, 98% des femmes du groupe des 30 à 49 ans avaient été excisées, 93% chez les 15-29 ans. On observerait une légère baisse depuis la publication de cette étude.

Inutile d'ajouter que  toutes les femmes de Nimbaya en ont été victimes. Toutes!

«C'est très grave, ça ne devrait plus se faire, allègue Aminata. Mais il y a encore l'excision aujourd'hui, les choses changent petit à petit. Et comme ça se fait, nous avons décidé de consacrer nos énergies afin de changer cette mentalité qui cause beaucoup de dégâts, beaucoup de mal.  On est là-dessus.»

La Québécoise Nathalie Roy, directrice de projet pour Nimbaya, a soutenu ses membres dans leur lutte pour contrer cette pratique qui a légèrement décliné en Guinée au cours des dernières années. Elle relate comment elles les a incitées à prendre la parole:

«En 2008 lors de notre tournée au Brésil, je leur en ai causé... Tout doucement, sans les brusquer. Je leur ai demandé de réfléchir et d'en parler entre elles. Neuf  mois plus tard, Mamoudou Conde m'annonçait qu'elles avaient créé Nimbaya-Djifemounkene - Wula, une chanson relatant leur version personnelle de l'excision, ayant décidé de se prononcer publiquement contre cette cruauté envers les femmes. Vous imaginez! Ce groupe de femmes ayant brisé un tabou et qui se servent de la tradition musicale pour enrayer une tradition cruelle envers les femmes, tradition sans fondement sanitaire ni religieux. »

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Nimbaya se produit gratuitement, ce samedi, 21h30, au Village des Nuits d'Afrique - Parterre du Quartier des spectacles.