Un chanteur de Port-au-Prince peut-il déborder le cadre communautaire de la diaspora haïtienne lorsqu'il se produit à l'étranger? BelO est de ces rares artistes s'exprimant surtout en créole haïtien qui puissent réaliser l'exploit.

Pendant que ses compatriotes viennent généralement triompher au complexe Christina de Saint-Léonard, un lieu fréquenté par des Haïtiens de notre île lorsque s'y produisent des Haïtiens de la grande île, BelO s'affaire à conquérir un public mixte via la tribune qui lui offre le festival Nuits d'Afrique.  Avec succès? Dimanche soir, en tout cas, le Cabaret du Mile-End était rempli de spectateurs aux origines diverses, de surcroît ravis.

L'auteur, compositeur, guitariste et chanteur exerce un véritable ascendant sur cet auditoire mixte venu à sa rencontre. On  a senti chez cet homme l'honnêteté, l'intelligence, la bonté, la conviction, la passion pour ses sujets. Sujets essentiellement en orbite autour des préoccupations fondamentales d'Haïti :  reconstruction du pays après le terrible tremblement de terre survenu en 2010, criantes inégalités sociales et économiques, enfants pauvres tentés par le banditisme armé pour supporter financièrement leur famille, mais aussi... amour sur les plages de Jacmel.

Pour la première partie de ce récital, BelO a enchaîné des titres extraits de ses albums : Ti moun yo, Mizik a Jah, Banda, Pari nan malem, Istwa dwol, Diore, Wozo, Lakou trankil, Ti Jean, Match. Pour la seconde partie, c'est-à-dire pendant qu'on assistait à la performance de Spoek Mathambo à la SAT, on rapporte qu'il a fait Kote moun yo,  Love pou love, Lewa, Deblozay, Pitit deyo, Timitant nan wout, Jasmine.

Pari gagné? Enfin, presque. Le public a certes apprécié, le plancher de danse s'est progressivement rempli, on a senti clairement cet enthousiasme qui se manifeste pour les artistes en pleine ascension.

La suite des choses? Jean Belony Murat, alias BelO, a tout pour devenir une star internationale : son chant est contagieux, ses racines haïtiennes sont profondes, ses inflexions vocales ne sont pas sans rappeler les grands reggaemen (on pense d'abord à Bob), son charme opère sans problème, ses mélanges de genres (folk, rara, vaudou, reggae, soul, etc.) sont équilibrés. Cependant...

Il manque encore à BélO des moyens à la hauteur de son talent. On le sait contraint de se produire avec des formations locales haïtiennes ou caribéennes, qu'il soit en France, aux États-Unis ou au Québec. Dimanche à Montréal, la résultante était loin d'être vilaine, on aurait néanmoins souhaité retrouver cette coloration sonore plus antillaise de son noyau de Port-au-Prince, avec qui il devra tôt ou tard tourner systématiquement s'il veut accéder aux grandes ligues. Quelques répétitions avec d'honnêtes professionnels locaux ne suffisent pas au stade où BélO est rendu.

Hormis le magnétisme du personnage, la pertinence de son propos, la qualité de son répertoire, il devra souscrire à des standards de réalisation plus élevés (et plus singuliers) en studio et une machine à spectacles plus aguerrie, plus percutante sur scène. Voilà la prochaine étape à laquelle BelO devra se soumettre.