Trois ans après avoir lancé La boca, opus magnifique réalisé par le brillantissime Jean Massicotte, Alejandra Ribera a pris le large et fait subir un traitement minceur à ses chansons subséquentes, réunies sur This Island, son troisième opus.

«Les arrangements de Jean, raconte la chanteuse, étaient si riches et si beaux que j'arrivais mal à trouver la confiance nécessaire à interpréter ce même matériel dépourvu de son habillage. Or, j'y suis finalement parvenue, et c'est progressivement devenu la norme de mon expression. Je compte bien poursuivre dans cette voie, c'est-à-dire être plus directe, plus efficace, faire plus avec moins. J'essaie de faire en sorte que mes chansons se tiennent seules, sans artifices superflus.»

Ce qui importe désormais à Alejandra Ribera, donc, est «le dépouillement, le dénuement, la quête de l'essentiel dans le texte, dans la mélodie, la structure et aussi dans la réalisation en studio». Ceci explique cela: pour This Island, elle n'a fait appel à aucun gourou de la réalisation, elle a piloté elle-même le projet entier.

«Le guitariste Jean-Sébastien Williams et le contrebassiste Cédric Dind-Lavoie sont au centre de mon univers créatif. Je tourne avec eux depuis trois ans, ils m'ont inspiré confiance, m'ont donné foi au minimalisme de la facture actuelle. J'ai réalisé qu'il était possible d'atteindre à trois une dynamique beaucoup plus considérable que je ne l'aurais cru», explique-t-elle.

This Island a été enregistré principalement avec ces messieurs, auxquels s'est joint le batteur Adam Warner ainsi que le trompettiste Bryden Baird. Sur scène, Alejandra est toujours accompagnée par les mêmes Jean-Sébastien Williams et Cédric Dind-Savoie ainsi que par le corniste Pietro Amato (The Luyas, Bell Orchestre).

Se laisser porter dans l'espace

Suspension et lâcher-prise sont aussi des idées maîtresses de This Island.

«J'étais à Paris, je m'étais alors inscrite à un atelier sur le mouvement du corps avec une adepte de la grande chorégraphe Pina Bausch. Entre autres exercices, les participants à cet atelier devaient traverser ensemble la pièce en parfait synchronisme. Pour y arriver, il nous fallait tous lâcher prise et nous laisser porter dans l'espace. Cela s'était produit comme par magie, j'avais alors le sentiment que mon corps avait atteint un degré plus élevé de conscience.»

La quête d'Alejandra Ribera, en fait, lui a permis d'acquérir une hypersensibilité lui permettant de mieux communiquer avec ses musiciens en temps réel: décoller vers les altitudes sonores, voler, atterrir, s'immobiliser.

«On le constate souvent dans le jazz, survient un moment où l'activité se conclut sans que personne n'ait préalablement commandé la fin. Ça se ressent collectivement et ça fonctionne.»

«Ainsi, j'ai voulu explorer ce niveau de communication avec mon groupe, pour ainsi en reproduire les acquis dans le processus de la création ou de l'enregistrement.»

Trois thèmes

En ce qui a trait aux mots, la parolière dit écrire essentiellement sur trois sujets: le divin, la mort, la nature.

Le divin: «J'écris sur cette sensation où l'esprit est présent, presque tangible. Lorsque le silence est lourd au fond de soi, au point de creuser un immense trou noir, cela peut devenir une invitation au divin. Ce n'est jamais clair ou évident, remarquez; j'exprime cette sensibilité sans vouloir la verbaliser dans quelque discours mystique ou religieux.»

La mort: «La mort transforme mon rapport à la réalité, plus précisément au temps. Par exemple, la disparition soudaine d'un ami proche a contribué récemment à transformer mon rapport au temps. Contrairement à la tendance générale voulant que le temps s'accélère, la disparition a produit chez moi l'effet inverse: le temps a ralenti.»

La nature: «Je ne suis ni peintre ni sculptrice, je suis pourtant très visuelle. Mes textes recèlent plusieurs descriptions des environnements dans lesquels l'action se déroule. La nature des choses...»

Dans le cas qui nous occupe, les derniers récits chansonniers d'Alejandra Ribera se déroulent dans un environnement poétique, soit dans «cette île».

«Ma première année vécue à Montréal, se souvient la Torontoise aux origines écossaises et argentines, avait été brutale. Ce fut de même pour ma première année vécue à Paris, où j'ai passé beaucoup de temps avant de me trouver plus souvent à Londres, que je fréquente régulièrement pour des raisons sentimentales. Je me souviens de plusieurs moments où je ne comprenais rien à l'étrange conversation française devant laquelle j'étais la spectatrice impuissante. Comme si j'étais seule dans une île à regarder ce qui s'y passait. Ce sentiment d'observatrice étrangère a inspiré le titre de mon album.»

Aujourd'hui, Alejandra Ribera a appris la langue française, se dit heureuse de vivre entre Montréal et Londres, et d'inviter quiconque à communier... dans son île.

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Au Club Soda, ce soir à 20 h, dans le cadre de Montréal en lumière.