Depuis les débuts professionnels de la chanteuse et auteure-compositrice Agnes Caroline Thaarup Obel, les enchères à son sujet n'ont cessé de croître auprès du public montréalais. Pas si lentement... plutôt sûrement!

La Danoise nous avait mis la puce à l'oreille en première partie de Timber Timbre en 2011, soit après la sortie de son opus Philharmonics qui rayonnait déjà sur toute l'Europe. Dans la foulée de l'album Aventine, le buzz était perceptible en 2014, alors qu'elle remplissait deux fois le Gesù, en février, et l'Olympia, en novembre. Mardi, le Théâtre Maisonneuve accueillera une foule beaucoup plus considérable pour le coup d'envoi de sa tournée nord-américaine, qui fait suite à la sortie de sa troisième offrande, Citizen of Glass.

Force est de déduire qu'Agnes Obel n'est plus tout à fait l'artiste de niche qu'elle était aux premiers chapitres de sa trajectoire.

Inutile d'ajouter que Citizen of Glass est très prisé par un public plus ou moins trentenaire, logeant au centre gauche du spectre indie pop. On aime l'élégance et la grâce de sa musique de chambre, ses doux compléments électroniques, sa voix délicate, les choeurs évanescents de ses complices. Voilà un cocktail parfait pour les migrants en route vers des contrées atypiques et tout aussi pacifiques.

Installée à Berlin depuis une dizaine d'années, Agnes Obel est une artiste libre issue d'une famille d'esprit ouvert, qui n'a jamais forcé les choses en ce qui la concerne.

«Philharmonics, mon premier album lancé en 2010, regroupait des chansons écrites depuis l'adolescence. Je rendais public tout ce travail accumulé au fil des ans, il n'y avait pas vraiment de concept d'album. C'était pour moi l'urgence de dévoiler mon travail et non de faire aboutir un concept», raconte-t-elle lorsqu'on la joint en Allemagne.

«Sorti en 2013, enchaîne-t-elle, Aventine était un premier projet d'album créé dans une période relativement courte. À travers ce processus, j'avais appris à exploiter des instrumentations plus spéciales tel le piano préparé, je m'étais aussi intéressé à de nouvelles formes d'enregistrement. Dans cette même optique, j'avais cherché à bousculer mes propres méthodes de création chansonnière.»

Quant à la gestation du troisième, elle avait commencé dès la tournée précédente: «Il y a des similarités dans les formes par rapport aux albums précédents, mais il y a plus de substance dans le rythme et les structures harmoniques. Avant même de commencer à écrire et composer, j'avais ce titre en tête: Citizen of Glass. Je savais que des compositeurs de bandes sonores originales peuvent fonctionner ainsi, je l'ai fait à mon tour.»

Fragilité citoyenne et artistique

Pour Agnes Obel, Citizen of Glass est une expression poétique exprimant un lien étrange entre ses deux noms. Le premier est évident, le second induit plusieurs sens et images.

«Prenons l'idée de transparence, qui a pris une ampleur très importante dans l'actualité. Les médias, par exemple, façonnent une part de notre conscience, ce qui n'est pas toujours le résultat de leur transparence. Cette confusion conduit d'ailleurs des fanatiques et des populations en colère à en rejeter les côtés valables.

«Il y a aussi cette idée de transparence dans l'expression artistique, poursuit-elle. À ce titre, je m'inspire notamment de l'écrivain norvégien Karl Ove Knausgård, qui a repoussé les limites de la limpidité autobiographique à travers les six tomes de son ouvrage Min kamp

Évidemment, le verre renvoie aussi à la fragilité dans le concept Citizen of Glass: «J'y évoque ma propre fragilité, citoyenne ou artistique.» 

«Je me sens parfois fragilisée lorsque j'ai le sentiment de ne plus avoir de secrets en les communiquant sous tous les angles imaginables.»

La chanteuse estime d'abord être une créatrice de chansons; les mots anglais ne seraient pas au service de sa musique comme on pourrait le supposer: «J'aime les mots et, d'ailleurs, je lis beaucoup plus de littérature poétique et romanesque depuis que j'écris sérieusement des textes de chansons. Mais je ne crois pas que je deviendrais écrivaine si j'arrêtais de composer. Car je crois au réel pouvoir d'élévation de la musique. J'imagine mal les mots sans les sons.»

À ce titre, l'artiste souhaite ne pas trop réfléchir à la nature de sa musique.

«Il faut connaître les outils et les genres qu'on souhaite intégrer à sa propre musique, mais j'essaie d'éviter les choix conscients et rationnels.»

Jusqu'à un certain point, en fait, car Agnes Obel dit consciemment vouloir limiter l'ampleur de son instrumentation.

«Par exemple, je peux préférer exploiter le côté percussif d'un violoncelle à l'usage d'une batterie. La contrainte stimule l'imagination. C'est pourquoi j'aime le minimalisme en musique, j'aime Steve Reich, Philip Glass, Meredith Monk, Arvo Pärt, Paweł Szymański, etc.»

Sur scène? Deux violoncellistes frotteront et pinceront les cordes, feront des boucles en direct pendant qu'une clarinettiste chantera et jouera des percussions et qu'un instrumentiste invité joindra le groupe de la chanteuse qui, elle, officiera au piano et ornements électros.

En toute limpidité, il va sans dire.

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Au Théâtre Maisonneuve, le 28 février, 20 h.