Il faut parler d'un moment de grâce. Montréal en lumière a peut-être présenté samedi la plus grande première de son histoire: aucun des clichés de la critique ordinaire ne peut décrire la magnificence du concert livré par Jorane et l'orchestre I Musici.

Dans le creuset historique du Gesù, la violoncelliste et chanteuse et l'orchestre de chambre ont mis en commun leurs impressionnants talents - une idée du producteur Didier Morissonneau -, dans la sobriété et au seul profit de la musique. En a résulté une rencontre qui fera date dans les annales musicales d'ici comme dans les coeurs des 425 chanceux entassés entre ces vieux murs de pierre de la rue de Bleury.

Sur des arrangements d'orchestre de Jean-Michel Malouf qui dirigeait I Musici, Jorane a chanté une dizaine de pièces en s'accompagnant pour la plupart, debout au violoncelle. Après la première, sa Rose velours, l'auteure-compositrice-interprète avait l'oreille de tous, mais, loin de surfer, elle a continué à se livrer tout entière, acclamée devant par un public ravi, applaudie derrière par les Musici, heureux d'être là. Souriante communion.

Jorane a chanté d'une voix assurée, puissante, loin des hésitations de son dernier CD dont - à la déception de quelques fans, on peut supposer - elle n'a interprété que la pièce-titre: Une sorcière comme les autres, qui a envoyé tout le monde à l'entracte les bras ballants. Cette «chanson-fleuve» d'Anne Sylvestre - huit minutes en solo ! - avait été précédée de Comme avant, d'Allégeance, poème de René Char que Jorane a brillamment mis en musique, et de l'une des belles de Boris Vian, Le temps passe (Et il y met du temps).

Jorane semble parfois, comme dans Battayum, chanter dans une langue qu'elle seule connaît mais que - miracle de la musique! - tout le monde comprend. Et la foule de chanter «Pam Payoo! Pam Payoo!», grand choeur mixte du Gesù que la dame dirige de l'archet avant de s'envoler, accrochée à son instrument.

Le reste du Québec, maintenant, doit voir et entendre cette Jorane totale, céleste, magique.