Bon an, mal an et pas juste dans le temps du jour de l'An, Mary Travers revient hanter l'actualité. Alors que les autres légendes du «trad» québécois tombent progressivement dans les oubliettes, celle qu'on surnommait La Bolduc semble vouée à la pérennité.

On en aura encore la preuve demain, avec un double hommage visant à souligner le 70e anniversaire de sa mort. Présenté dans le cadre de Montréal en lumière, le spectacle Au tour de La Bolduc la fera revivre à travers la crème de nos auteurs-compositeurs (Martin Léon, Daniel Boucher, Mara Tremblay, Damien Robitaille, etc.) alors que l'émission La bastringue sur le bout de la langue, présentée par Boucar Diouf à la radio de Radio-Canada, fera le lien entre son histoire et celle de l'immigration au Québec.

Immigrant lui-même, Diouf le Sénégalais a découvert La Bolduc il y a plus de 15 ans, quand il s'est installé à Gaspé. Il a tout de suite adopté l'humour de cette pittoresque chroniqueuse sociale, qui lui a permis de mieux connaître l'histoire du Québec. Il s'est aussi et surtout identifié à cette déracinée, qui avait quitté la Gaspésie pour Montréal à 14 ans, pour faire vivre sa famille.

«Elle n'avait que 14 ans, dit-il. Le choc culturel qu'elle a vécu a été le même que celui de tous les immigrants qui débarquent au pays. Alors quand elle chante «Ça va venir, découragez-vous pas», ça leur parle, tu comprends.»

Réalisée par Martin Girard, La bastringue sur le bout de la langue donnera la parole à des néo-Québécois qui ont traduit La Bolduc en espagnol et en arabe, en plus de s'intéresser aux immigrants qui, à l'inverse de Mary Travers, ont choisi de s'installer en Gaspésie plutôt que d'en sortir.

Mais on se questionnera aussi sur l'héritage musical et social de la chanteuse, avec des personnalités comme Jim Corcoran, André Gagnon, Alain Lefèvre, Michel Faubert et Biz, de Loco Locass.

Suffragette, anticonformiste, blockbuster...

Comment expliquer que La Bolduc transcende ainsi les cultures et les générations?

Alors que Boucar Diouf souligne l'aspect «universel et intemporel» d'une oeuvre à caractère social, Mara Tremblay insiste surtout sur son anticonformisme et son intégrité, gage de modernité et exemple à suivre pour bien des chanteuses actuelles.

«Elle a été notre première femme auteure-compositrice-interprète, lance celle qui reprendra La chanson du bavard, dans le spectacle collectif que lui consacre Montréal en lumière demain soir. Elle ne s'est pas vendue pour plaire et elle n'en faisait qu'à sa tête. Elle chantait des choses audacieuses. Elle n'écrivait pas avec des pincettes. Elle a même quitté sa famille pour aller en tournée. À sa façon, elle a énormément dérangé.»

«Elle avait un sens mélodique et un bagout d'interprétation assez succulents, renchérit Robert Thérien, historien de la chanson québécoise. Elle avait un bon sens de l'observation pour dépeindre son époque. Encore aujourd'hui, son matériel se tient.»

Mais il ne faudrait pas pour autant surestimer l'apport de Mary Travers, ajoute M. Thérien. «On en a fait le symbole de la femme qui s'affirme. Mais on lui prête bien plus d'intentions qu'elle n'en avait vraiment. Elle n'était ni une sufragette ni une féministe consciente de sa démarche. Si elle est partie en tournée, c'était uniquement pour faire vivre sa famille.»

Mary Travers, alias La Bolduc, est avant tout «tombée au bon endroit au bon moment», conclut Robert Thérien. Ses talents de chroniqueuse populaire, jumelés à l'essor de l'industrie du disque, lui ont permis de devenir le premier blockbuster de l'histoire de la chanson québécoise, grâce aux dizaines de milliers d'exemplaires vendus de ses premiers 78 tours.

Redécouverte à la fin des années 50, elle est, depuis, rééditée sur une base régulière, ce qui lui vaut d'être sans cesse redécouverte par les nouvelles générations, qui sont à leur tour charmées par sa turlute flamboyante et ses vignettes quasi journalistiques, s'articulant autour de la Grande Dépression.

«Flamboyante, tu dis? Elle a troué trois partiels avec sa turlute, conclut Mara Tremblay. Faut turluter en tabarnouche non?!»

La bastringue sur le bout de la langue, dimanche 20 février, de 17h à 19h, à la Première Chaîne. Au tour de La Bolduc, demain 20h, à l'Astral

Malgré une carrière d'à peine 12 ans, Mary Travers, dite La Bolduc, est devenue le symbole de la chanson folklorique québécoise. Gaspésienne d'origine, cette chanteuse bâtie comme une armoire à glace s'est fait connaître dans les fameuses Soirées du bon vieux temps qui se tenaient au Monument-National, avant d'enregistrer une trentaine de 78 tours à succès entre 1929 et 1931. Sa carrière connaît un regain après la crise, et la chanteuse grave une autre demi-douzaine de disques. Emportée par le cancer le 20 février 1941, elle tombera dans l'oubli pendant 20 ans avant d'être réhabilitée par une première biographie en 1959, et une première série de rééditions qui la remettront pour de bon «sur la mappe».