Faisant un pied de nez aux modes, figé dans le temps et pourtant libre comme on l'a rarement vu, Le Cirque invisible est une des très bonnes prises de ce deuxième festival Montréal complètement cirque.

Le couple mythique formé par Jean-Baptiste Thierrée, 74 ans, et Victoria Chaplin, 60 ans, arrive au Québec avec un spectacle rodé depuis... 21 ans. Magie, poésie et folie douce font de ce spectacle étrange et drôle un moment de délire et d'imagination débridée rare et précieux.

Dans les années 60, Jean-Baptiste Thierrée rêvait de révolutionner l'art du cirque. Avec la femme de sa vie, Victoria, fille de Charlie Chaplin, il mettra son projet à exécution dès 1970 avec le Cirque Bonjour, puis avec le Cirque imaginaire.

Le Cirque invisible, créé en 1990, est dans la continuité de ce travail d'exploration. C'est cet esprit de liberté propre aux années 70 qu'on ressent dès le début de la représentation, et qui fait qu'on a l'impression d'un retour dans le temps - ce qui n'est pas négatif, et qui est même une forme de provocation dans le choix de rester « low-tech », de la langueur et du refus du spectaculaire.

Jean-Baptiste Thierrée, joues rondes et tignasse blanche ébouriffée, incarne parfaitement le magicien maladroit. Victoria Chaplin, avec son visage émacié, ses longs cheveux noirs et son corps menu et souple, amène les éléments de poésie et assure le côté « acrobatique » du spectacle. Pendant deux heures, ils se succéderont sur scène, parfois pour des vignettes de quelques secondes, parfois un peu plus longtemps, créant une attente joyeuse : mais qu'inventeront-ils, comment seront-ils déguisés, quel sera leur prochain tour de passe-passe ?

Thierrée, avec ses costumes improbables toujours agencés à ses valises et ses accessoires (peau de zèbre, nature morte, etc...), fait disparaître les balles et changer la couleur des mouchoirs, dévoilant souvent son truc tout en maintenant l'ambivalence entre la maladresse et la complicité.

Il coupe aussi des carottes au vol, tient en laisse une cafetière pour revenir déguisé en cafetière géante tenant en laisse une effigie de lui, fait teinter des bulles de savon, utilise des lunettes extralarges pour mieux voir... On pourrait continuer longtemps la liste de ces flashs tellement enfantins qu'ils en sont amusants et éveillent, malgré nous, notre capacité d'émerveillement. Il faut entendre les « oh ! » et les « ah ! » de cette salle presque entièrement composée d'adultes, lorsque les lapins et les oies se multiplient pendant un pur numéro de magie.

De son côté, Victoria Chaplin est toujours auréolée de mystère. Recouverte d'objets du quotidien et de tissus chatoyants, elle se transforme en bête étrange, en insecte, en poisson ou en dragon. Contorsionniste, elle se cache à l'intérieur d'une boîte ou sous un drap, faisant se déplacer à petits pas - un peu comme une poupée mécanique - ces créatures aux allures mythologiques, s'aplatissant parfois tellement que les tissus en semblent écrasés sur le sol et entrant dans des espaces qui peuvent à peine contenir un enfant.

Lorsqu'on la voit, royale, marcher sur le fil de fer, y faire le grand écart et s'y suspendre par un seul pied, on se dit que l'art garde en forme. Et que de rester fidèle à ses idéaux de jeunesse permet clairement de vieillir en paix.

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Le Cirque invisible, au Théâtre Outremont jusqu'au 17 juillet.