Les membres de la troupe de cirque australienne Acrobat ne sont surtout pas là pour nous faire du bien. Avec Propaganda, spectacle brut qui ne fait pas de quartier, ils s'en prennent à toutes les idéologies tout en livrant une performance véritablement athlétique.

Peut-on dire qu'on a «aimé» une prestation comme celle créée par le couple formé de Simon Yates et Jo-Ann Lancaster? Non. Ce n'est pas leur but, de toute façon, et ils préfèrent de loin gratter le bobo jusqu'au sang, effectuer leurs numéros de façon saccadée sur une musique qui grince ou sur un bruit de moteur, plutôt que de nous émouvoir avec des images poétiques.

En ce sens, donc, Propaganda fonctionne. D'autant que les deux acrobates sont absolument phénoménaux, au mât chinois et à la corde comme au trapèze, en passant par les acrobaties au sol.

Tous deux font preuve d'une force hors du commun. Par exemple, Simon, couché par terre sur le dos, réussit à se monter complètement à la verticale sur la tête et à se laisser lentement retomber sur le ventre, sans élan et sans l'aide de ses mains. Même chose du côté de Jo-Ann, qui peut se faire tourner plusieurs fois autour de la barre du trapèze sans autre point d'appui que son ventre.

Le couple réussit à placer aussi un peu d'humour décalé. Le clou du spectacle est sûrement ce numéro où Simon, sur un fil de fer pas complètement tendu, réussit à se verser un verre de jus d'orange (et à en mettre partout), à s'asseoir doucement puis à se relever, à faire la chandelle et même à enlever son pyjama pour ensuite enfiler chemise et pantalon. Cela en faisant mine de perdre l'équilibre, tout en restant fermement sur le fil, ce qui demande une maîtrise assez exceptionnelle.

Cultiver le malaise

Mais ces notes plus légères n'empêchent pas le couple de distiller un malaise certain et de le cultiver. S'ils sont spectaculairement synchronisés dans leur numéro de vélo, effectué pendant qu'un mégaphone leur crache des insultes au visage, leur habillement - grosse culotte blanche, chemise brune - et leur salut final rappellent aussi l'imagerie nazie. Au point qu'on n'arrive pas à se laisser porter par leur performance, comme c'est le cas dans plusieurs numéros, parce qu'on se laisse envahir par l'ambiance plutôt que de jouir de ce qu'on voit.

À travers tout cela se glissent des messages dits ou écrits sur des pancartes (certains avec des fautes, d'ailleurs) - «Manges tes légumes, sois gentils, embrasse un arbre» - dont on ne sait plus s'ils sont lancés par dérision ou non. Et certaines images fortes - la sirène prise dans les sacs de plastique - sont en même temps tellement appuyées qu'on est agacé par ce manque de subtilité.

Avec ce spectacle anarchique, écologiste et altermondialiste, Acrobat amène sa discipline sur un chemin peu souvent emprunté - celui du militantisme, un peu comme si l'Action terroriste socialement responsable se mettait aux arts de cirque. Radicaux et sans concession, les deux artistes font ce qu'ils veulent et passent leur message, quitte à déstabiliser les spectateurs. On peut aimer si on aime souffrir un peu, mais il est certain qu'on n'en sort pas indemne. C'est quand même le but de l'art.

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À l'Usine C jusqu'à dimanche.