Il est impertinent, imprévisible, déplacé, incorrect et même un peu grossier. Certains l'adopteront, d'autres non. À preuve ce couple assis à la première rangée qui a quitté la salle en pleine représentation après avoir goûté à sa médecine... Le clown français Ludor Citrik a créé tout un émoi vendredi soir avec son spectacle Qui sommes-je?.

Pendant près de deux heures, cette bête de scène joue sans décor et sans musique sa naissance dans notre société actuelle. Dès la première scène, Cédric Paga enfile une couche et se lance dans sa quête du monde. Au fond, son personnage est un enfant qui n'est pas encore familier avec les règles de bienséance et les codes sociaux acceptés. 

Il se promène la main dans la couche, tente de recoller les morceaux de son biscuit en les frotter sous les aisselles. Bref, il est salissant et n'a absolument aucun filtre.  

Tout cela se passe sous le regard désapprobateur du «veilleur», interprété par Côme Delain. Tout de gris vêtu (même son visage est gris), cet homme autoritaire et froid veillera à ce que notre clown soit policé. Discrétion, politesse, il lui fait comprendre, à la dure, ce qui est bien et ce qui est mal, bref, ce qui est convenable.  

L'univers absurde de Ludor Citrik a quelque chose du bédéiste Mandryka (vous souvenez-vous des aventures du concombre masqué?). Quand son veilleur lui demande de manifester de la gratitude. Il lève le poing en scandant «gratitude!». Ici une toile de plastique devient un nuage, là un ruban collé au plancher est une fenêtre sur la salle.  

Ludor Citrik a de la «fuite dans les idées», comme dirait notre défunt clochard, Sol. Il  bondit d'une idée à l'autre tel un fauve. En quelques secondes, le rembourrage en coton de sa couche se transforme en neige et la neige en barbe de père Noël. Mais ne vous méprenez pas, il ne s'agit pas d'un spectacle pour enfants. Vous les faites garder.  

Les numéros avec son miroir sur pied sont hilarants. Ludor tentant de libérer son reflet du cadre. «Toi aussi tu es prisonnier? Je vais te sauver!» Dans une autre scène, il fait l'amour à son reflet... C'est d'ailleurs à ce moment-là qu'il prend conscience de la présence du public qu'il aperçoit dans le miroir. Un public avec qui il tente, maladroitement, d'établir un contact. 

Dans cet apprentissage des contraintes de la vie, Ludor Citrik fait ressortir avec éloquence, et parfois avec violence, tous nos travers et toutes nos contradictions. Sa transformation n'est pas vraiment heureuse. Ludor Citrik vit des angoisses et se sent vite prisonnier de ce système. Dans une des dernières scènes, notre homme se transforme en chien, lâché lousse dans la salle!

Mais il ne faut pas avoir peur de Ludor, qui doit perdre au moins 10 kilos après chaque représentation de Qui sommes-je?. Dans sa catégorie, la performance de ce clown corrosif est certainement l'un des moments forts du Festival Complètement cirque, qui a eu la bonne idée de nous présenter ce spécimen rare, qu'on a hâte de revoir sur nos scènes.  

Au Quat'Sous jusqu'à lundi.