Il n'y a pas vraiment de début au Chant du dindon : pendant que les spectateurs s'installent sur les bancs de bois du petit chapiteau, les membres de la troupe française Rasposo sont déjà sur la piste. Les musiciens jouent doucement, les comédiens et acrobates parlent autour de la table - sous laquelle somnole un chien - en mangeant et en buvant du vin, la maîtresse de maison offre le café aux gens assis devant. Ça circule, ça gesticule, ça rigole.

Une fois le public assis commence un numéro de main à main drôle et dynamique. Le ton est donné: dans un éclairage aux teintes chaudes, les 15 artistes de la troupe, vêtus de brun et d'ocre, présentent une pièce parfaitement chorégraphiée. Le spectacle prend son véritable envol avec cette scène où le contrebassiste, qui ne cesse jamais de jouer, se fait transporter dans tous les sens, accroché sous son instrument ou la tête en bas, quand on ne lui grimpe pas carrément dessus, imbriqué dans une tour de chaises...

Il y a un côté bon enfant et bric à brac dans Le chant du dindon. Mais il ne faut pas s'y méprendre, car avec sa mise en scène précise et sa scénographie ingénieuse, rien n'est laissé au hasard. Et cette histoire très théâtralisée sur l'envers de la vie d'artiste ne vient jamais occulter l'essentiel: on assiste à un véritable spectacle de cirque, mené par des acrobates de haut vol et originaux. La preuve dans ce numéro d'équilibre sur cannes montrant un jeu de séduction entre les deux équilibristes, qui vont de plus en plus loin dans la difficulté de leurs mouvements, leurs corps, presque aimantés, s'harmonisant dans leurs contorsions.

La deuxième partie est encore plus relevée et certains tableaux sont d'une beauté à couper le souffle. Dans une scène digne d'un film de Fellini, le patriarche, transporté sur un vieux matelas, tient son dindon, pendant que la maman est tirée dans les airs par la perruque. Les numéros d'acrobatie sont tout aussi époustouflants, par exemple celui où le clown pas si maladroit, accroché à un cerceau, fait planer sa partenaire, qui s'envole finalement pour terminer debout sur les mains d'un collègue.

En fait, le grand dadais interprété par Vincent Molliens traverse toute la représentation, dont il est le liant, avec sa bouille ahurie et sa poésie. Lorsqu'il se balance avec une grande corde, frôlant de ses longs bras les spectateurs, on est autant charmés qu'amusés. Mais le morceau de bravoure de ce spectacle qui en comporte plusieurs reste celui de Marie Molliens sur le fil de fer, faisant le grand écart, sautant, s'assoyant, volant littéralement au-dessus de la piste.

Le chant du dindon procure émotions fortes et beaucoup rigolade dans une proximité qui nous fait voir de près l'effort et le travail des artistes. La musique originale interprétée par quatre musiciens habite tout le spectacle avec ses touches manouches, mais aussi du tango, du klezmer, même un peu de country. Malgré l'inconfort des bancs de bois - il faut le dire - et la moiteur du lieu, on est transporté dans cet univers circassien mythique, happé par l'énergie contagieuse et le talent de Rasposo. Un vrai moment de grâce.

Le chant du dindon, jusqu'au 24 juillet à la place du chapiteau TOHU.