C'est dans une salle comble, hier soir au Théâtre Sainte-Catherine, que La Presse a assisté à l'émergence d'un nouvel humoriste de grand talent dans le paysage comique québécois. Il s'appelle Roman Frayssinet. Fraîchement diplômé de l'École nationale de l'humour (ENH), ce Montréalais d'origine française âgé de 20 ans est promis à un bel avenir.

On l'avait vu au Couscous Comedy Show, sous les auspices d'Uncle Fofi, puis on l'avait retrouvé l'hiver dernier sur les bancs de l'ENH, lors des répétitions du spectacle de fin d'année des finissants. On l'avait bien aimé dans ce spectacle intitulé 11 vies, présenté au Club Soda dans une mise en scène de Serge Postigo en mai dernier, puis récemment durant Zoofest. Mais hier soir, avec Migraine, son premier solo d'une heure, on a véritablement pris la mesure des multiples facettes du talent de cet artiste. Et on n'a pas eu mal à la tête.

Il a commencé sa présentation de façon originale et hilarante... en parlant à son image sur un écran. À l'aise sur scène, il interagit bien avec le public. Il a un débit soutenu, un «bien-parler» typiquement hexagonal sans être pénible et un souci constant de s'interroger sur tout, même les choses les plus anodines. Pourquoi les portes du métro de Montréal sont-elles si dures à pousser qu'elles sont «infranchissables»?, se demande-t-il. «On dirait des portes de pyramide qui ont fait un pacte avec le vent pour ne pas s'ouvrir!»

On le perd un peu quand il se met à broder sur un sujet de façon un peu trop dense. D'ailleurs, il en est tellement conscient qu'il lance au public: «C'est normal de ne pas avoir compris!» Puis, il interagit de nouveau avec son image projetée sur écran, se faisant engueuler par cet autre lui-même parce qu'il ne s'est pas présenté à l'assistance. Un échange rendu possible et drôle grâce à une coordination techniquement parfaite.

Alors, finalement, il se présente et l'on retrouve ce qu'il avait proposé en première partie de Kyan Khojandi la semaine dernière, notamment un segment sur sa mauvaise habitude de fumer et un autre sur son identité.

«Je suis parisien, soit une sommité au royaume des enculés. C'est très difficile pour un Parisien d'arriver à Montréal, car ici, tu es confronté à quelque chose que tu ne connais pas, le civisme!» Et de raconter la première fois qu'il a dû se placer dans une file d'attente pour prendre l'autobus...

Puis il reprend son dialogue avec lui-même, ce qui lui permet de changer de thème. Il se plaint alors de son corps. «J'ai l'air d'un tibia, dit-il. J'en ai marre d'avoir un corps. La vie est cent fois mieux dans mes rêves [...]», et il délire alors dans un mélange de poésie et d'humour, une veine qu'il devrait exploiter un peu plus, tellement ça lui ressemble.

Alors tout n'est pas parfait dans ce spectacle, mais cet humoriste n'en est qu'au tout début de sa carrière et possède bien des atouts pour clarifier et densifier son contenu. Chaque chose en son temps. Il n'a que 20 ans...

En fait, c'est comme si Jérémy Demay et l'École nationale de l'humour avaient accouché d'un grand bébé de plus de 6 pieds. Avec le même accent et la même taille que le Montréalo-Dijonnais, mais dans un autre registre que Jérémy, alors tout va bien! Il y a de la place pour deux comiques français au Québec. Surtout quand ils sont drôles sans être vulgaires, intéressants sans être prétentieux et simples sans être creux. Merci, la République française, on veut bien le garder, ce républicain Frayssinet...

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Au Théâtre Sainte-Catherine, à 19 h, jusqu'au 1er août.