«On était conscients que quand on déménage l'emplacement de la rue, les galas, les restaurants, l'espace VIP Platine, c'est beaucoup de changements, dit Gilbert Rozon, en entrevue dans son bureau. Mais c'était la bonne décision.»

Gilbert Rozon est aussi satisfait de l'affluence dans les salles. À Wilfrid-Pelletier, seuls les bancs du fond ont eu du mal à trouver preneur, les gens ne sachant pas qu'avec les nouveaux écrans DEL, on voit bien même de loin. Sur le plan du contenu, il est content aussi. Mais il y aura des choses à bonifier.

Les billets de galas coûtaient 20% moins cher cette année et de nombreux billets ont été soldés ou offerts par tirage au sort. Mais il veut aller plus loin à l'occasion de la 
30e présentation.

«Je cherche des solutions pour encore baisser les prix. Je ne dis pas ça de façon vertueuse, mais les galas doivent être accessibles et populaires. Au Québec, les gens ont grandi avec les galas. Il faut qu'ils puissent en voir quatre ou cinq.»

Des galas ont toutefois été beaucoup trop longs. Gilbert Rozon le sait. Il veut les raccourcir d'environ une demi-heure. Il a beaucoup aimé la performance des Français : Florence Foresti, Arthur et les jeunes Shirley Souagnon, Noom et Amelle, Ben et Jérémy Demay.

«Ça fait longtemps que je dis que les humoristes français vont donner des leçons aux Québécois, dit-il. Avec leur nouvelle génération, ça va brasser. La France est en train de se sauver grâce à l'intégration de ses immigrants. C'est loin d'être fait, mais la pointe d'espoir existe à travers ces humoristes noirs, arabes ou métis qui prennent le pouvoir par le mot.»

Gilbert Rozon n'a d'ailleurs pas apprécié la controverse autour d'une phrase de Martin Matte claironnée par un journal de Montréal. Il dit en avoir assez de la rectitude politique.

«J'aime les humoristes qui brassent la cage et parlent des différences. Heureusement qu'il y a une jeunesse qui arrive. Ne pas parler des choses, c'est créer des peurs. Si on ne parle pas de quelque chose, on l'exclut. Juste pour rire fait un travail humanitaire en ce moment. On crée des rapprochements et des solidarités.»

L'hommage à Jean Paul Gaultier avec Pinkarnaval lui a fait très plaisir et le succès de Zoofest l'a surpris. «C'est au-delà de nos espérances», dit-il.

Pour les arts de la rue, certains réclament plus de spectacles extérieurs. Il veut y réfléchir. «En humour, c'est plus difficile qu'avec la musique d'animer des foules, dit-il. Mais la petite scène Loto-Québec a bien fonctionné. Il y aura des annonces!»

Finances

Avec de 1,5 à 2 millions de visiteurs pour un budget de 40 millions, Juste pour rire va bien, dit Rozon, même si le fédéral a retiré son aide de 3 millions. Le groupe s'en tire avec les ventes à l'international.

«Notre diffusion internationale me donne le vertige. On est sur 100 lignes aériennes et dans 125 pays. En Australie, Just for Laughs est aussi connu qu'ici. On a des shows télé aux États-Unis, en Angleterre, au Canada anglais. Sur l'internet, un million de personnes cliquent chaque jour sur Just for Laughs. On va être à un milliard de clics en un an très rapidement.»

Juste pour rire fonctionne bien à Chicago. Toronto reprendra l'an prochain, le temps de trouver des partenaires solides. Dans quelques jours, Rozon partira en Australie pour préparer Just for Laughs à Sydney qui se déroulera durant quatre jours en septembre.

Just for Laughs était même présent du 22 au 24 juillet près de Londres, à St Albans, avec le festival Laugh in the Park.

«On a deux ou trois autres projets sur la table à dessin, dit-il. Je suis très concentré pour faire quelque chose sur Paris et dans une autre ville française, mais pas n'importe comment.»

Le rêve d'Édimbourg

Gilbert Rozon a hâte que Montréal devienne l'été l'«Édimbourg d'Amérique du Nord», à l'image de la ville écossaise et de son gigantesque festival multidisciplinaire qui met à l'affiche 2000 spectacles par jour...

Son rêve est qu'il y ait à Montréal durant une période donnée une importante masse de spectacles pour attirer des touristes de partout.

«On est au stade du germe par rapport à Édimbourg, dit-il. Mais c'est fondamental de le faire. Août appartient grosso modo à Édimbourg en Europe. Nous, en juillet, on a tous les arguments pour amener d'autres festivals, la littérature, une biennale d'art contemporain, la BD, de l'opéra, tout ce que vous voulez! C'est ça qui va faire que le New York Times et le Boston Globe vont commencer à couvrir.»

Il sait toutefois que ça prendra du temps. D'ici là, Zoofest sera peut-être aussi important que Juste pour rire. «Tant mieux! Ça correspond à un besoin de créations différentes. J'aimerais ça que le Fringe déménage avec nous, le festival du film juif, celui du film africain, etc. Venez avec nous, on va en amener, des clients qui veulent voir plein de choses durant le même mois.»

L'an prochain, il y aura un effort pour la 30e présentation, mais Rozon n'en fait pas une montagne. «Toutes les bonnes idées, on les fait tout de suite. On ne les reporte pas. Mais mon grand défi sera de redonner quelque chose au public.»

Et la mairie?

Gilbert Rozon adore Juste pour rire, mais garde un oeil sur la mairie de Montréal. «Les idées se bousculent chez moi. Il y a tellement de choses à faire. Juste pour rire, c'est passionnant et c'est une entreprise en développement international. Si la loi permettait, comme à New York, de gérer ça et la ville, comme le fait Bloomberg, j'explorerais l'idée d'y aller.»

Mais sa grande peur est de mettre Juste pour rire en fidéicommis. Ça prend du temps, une transition. Et il craint qu'on évoque des conflits d'intérêts.

«On vit dans une telle paranoïa, dit-il, qu'on est présumé malhonnête. Mais c'est sûr que j'aimerais servir. J'aime ma ville. Si on pensait que j'ai la capacité, j'irais. Mais je ne cherche pas d'ouvrage. Je voudrais juste faire avancer les choses. Sans sacrifier Juste pour rire.»