Selon de récentes études, les gens atteignent l'apogée du bonheur à 70 ans. C'est peut-être pourquoi on n'accepte personne en dessous de cet âge à la chorale Young@Heart, qui était de passage pour la deuxième fois à Montréal mardi, à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. La dernière fois, c'était en 2001, mais la Grande Faucheuse est depuis venue recruter pour sa propre troupe...

Les cyniques pourraient y voir une entreprise d'exploitation des vieux et des bons sentiments, mais s'il y en avait dans la salle mardi, ils n'ont pas eu le choix de changer leur fusil d'épaule. D'abord parce que les membres de la chorale, dirigée par Bob Cilman, sont là avant tout pour leur propre plaisir, et ensuite parce qu'ils offrent au public une performance parfaitement rodée, malgré quelques cafouillages qu'on ne peut mettre sur le compte d'une absence de préparation. Ils ont du fun sur scène, et c'est contagieux. Parfaitement conscients du danger que cela vire en un «freakshow» plutôt morbide, Bob Cilman et sa bande offrent plutôt une leçon de dignité. Et de Rock 'n' Roll, bien entendu. On espère que la ministre responsable des aînés, Marguerite Blais, qui était dans la salle, a pu élargir ses perspectives au-delà des idées de clowns.

Parce qu'on ne fait pas dans la polka, à Young@Heart. On chante les Ramones, Jimi Hendrix, Nirvana, Jefferson Airplaine, Sonic Youth, Rolling Stones - ces derniers auront bientôt l'âge légal pour faire partie de la chorale, nous a-t-on rappelé. Les paroles d'une éternelle jeunesse en révolte prennent ici une toute autre signification dans la bouche de ces vieux qui n'ont pas envie d'être traités en gâteux. Il est même particulièrement ironique de les entendre chanter des chansons écrites par des rock stars qui sont mortes au tiers de l'âge moyen de la chorale, sacrifiées à l'autel de la célébrité... Les membres de Young@Heart contredisent la formule «live fast die young» chère à l'idéologie du rock.

Au début, quand ils arrivent en fredonnant «You can't always get what you want», on les trouve «cute», on s'attendrit. Et, tranquillement, on commence à «tripper» pour vrai. Les musiciens sont bons, les chanteurs sont dévoués - certains ont même une voix que l'usure du temps rend particulièrement sexy - et Bob Cilman ne les lâche pas d'une semelle, afin qu'aucun ne rate son entrée ou sa sortie.

L'apogée de la soirée, sans contredit, aura été leur interprétation de Lindberg de Charlebois. Après un medley «canadien» qui n'a pas particulièrement levé auprès d'un public majoritairement francophone, ce cadeau et cette surprise, en français, ont été accueillis par un tonnerre d'applaudissements et de hurlements. Si en chantant «mais, j'sais pu, où chu rendu», le choriste était effectivement un peu perdue dans ses paroles, cela n'avait aucune importance, puisque la performance était enterrée sous l'ovation. En dessert, on a même eu droit à une version impeccable des Trois p'tits cochons de Dan Bigras.

L'amour, l'avenir, le sexe,  les joies, les peines, même la drogue, bref,  tout ce qui fait la vie et les chansons, font partie de ce spectacle, et sont incarnés par les choristes: quand nous voyons défiler leurs photos de jeunesse, cela prend tout son sens. Et quand ils nous disent au revoir avec Forever Young, on comprend très bien que c'est ce qu'ils nous souhaitent, à nous, bien plus qu'à eux. Parce que eux, ils ont compris. Nous ne sommes pas allés voir Young@Heart pour se sentir plus jeune, mais pour cesser de craindre le temps qui passe. Rock around the clock, comme on dit...