Certaines oeuvres jouent avec les codes de la représentation, brouillent la frontière entre salle et scène. Avec Lifeguard, Benoît Lachambre nous amène carrément ailleurs.

Invitant les spectateurs à pénétrer dans un univers à mi-chemin entre la représentation et le laboratoire, l'inimitable créateur fait alterner les moments performatifs et explicatifs, où il détaille sa démarche ou explique au public ce qu'il attend de lui. Divisé en trois parties - chacune permettant l'entrée d'un groupe de personnes supplémentaires -, Lifeguard est un terrain exploratoire où les spectateurs sont amenés à vivre une expérience déambulatoire, participative et immersive.

Se disant fasciné par les rouages qui font naître les chorégraphies, Lachambre partage avec les gens présents un espace carré et vide. Par leur présence, leurs regards, leurs déplacements et leur toucher, ces derniers sont impliqués dans la naissance du mouvement et de l'oeuvre chorégraphique. «Pas plus de trois personnes à la fois», indique-t-il, demandant aux spectateurs-acteurs de poser leurs mains doucement sur des parties de son corps et de l'accompagner ainsi dans les gestes générés par cette énergie.

Pas de toucher? Le geste ne naît tout simplement pas. En ce sens, le spectateur devient partie prenante de la naissance du geste chorégraphié, s'inscrit en résonance avec l'oeuvre qui se construit à même son corps et celui des autres.

Le corps comme territoire

L'exploration du toucher entre interprètes et spectateurs n'est pas évidente en danse; difficile de la faire advenir sans forcer l'entrée dans l'intimité et provoquer certains malaises. Ici, Lachambre réussit à évacuer ces notions - il évoque avec justesse «l'intimité impersonnelle» - au profit d'une expérience kinesthésique et réellement participative.

Si Lifeguard offre certainement un aspect ludique, au fil des différentes parties, Lachambre - qui est, comme toujours, absolument magnétique - plonge dans les profondeurs, intériorisant l'élan et l'énergie nés au contact des autres. Il ouvre et explore ses espaces internes, le tout débouchant sur des cris et sons gutturaux, dans une finale aux accents chamaniques.

En filigrane, Lachambre évoque des rapports à l'eau et à la terre, faisant le lien entre les espaces internes et externes, le corps comme territoire, mais qui est aussi partie prenante d'un territoire plus vaste, mis à mal, et qu'il faut sauvegarder. Comme un lifeguard.

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Jusqu'au 1er juin; entrée en trois temps: 19 h, 19 h 30 ou 19 h 45. À l'Espace Françoise-Sullivan de l'édifice Wilder.