De repente fica tudo preto de gente (Soudain tout est noir de monde) propulse le spectateur en terrains inconnus, loin de sa zone de confort. Un spectateur qui est, en fin de compte, le sujet d'intérêt de cette oeuvre mouvementée du Brésilien Marcelo Evelin, présentée dans le cadre du FTA.

Oeuvre radicale, performative et intrusive, De repente fica tudo preto de gente se déroule dans un ring éclairé aux néons. Une arène où le spectateur se retrouve sur le même terrain que cinq danseurs, dont les corps nus ont été préalablement enduits d'un mélange d'huile et de poussière de charbon évoquant le goudron (tout comme celui des techniciens à l'éclairage et au son, d'ailleurs). Ces interprètes forment la plupart du temps une masse agglutinée se déplaçant comme bon lui semble, généralement à bonne vitesse, dans l'espace délimité par les cordes du ring.

L'intrusion est ici à double sens: la «bulle» du spectateur est inexistante, et ce dernier doit, chose à laquelle il est loin d'être habitué, partager son espace avec ces corps noircis qui salissent sa peau et ses vêtements au moindre contact, mais aussi celui des autres spectateurs.

Mais le spectateur, en acceptant d'entrer dans le ring, s'introduit aussi dans l'espace de performance. En observant de près le corps nu des interprètes, en les touchant, en étant dans leur trajectoire, il fait lui aussi figure d'intrus.

Massés les uns contre les autres, serrant étroitement leurs corps goudronnés, les interprètes se lancent dans une course à travers l'espace, course qui chute parfois au sol, où les corps grouillants s'entassent alors les uns sur les autres. Piétinant rapidement le sol, courant, sautillant, rampant, la masse qu'ils forment perce la masse de spectateurs, qui s'ouvre devant eux, dans un ballet quelque peu chaotique, mais étonnamment fluide. Car la véritable chorégraphie, ce sont eux qui la dansent.

Noirs miroitants

À l'image de la surface laquée qui recouvre le corps des danseurs, cette pièce renvoie au spectateur son propre reflet, lui tend un miroir de ce qu'il est, en observant sa réaction devant l'imprévu, l'inconnu et l'étranger à soi.

Alors que certains fuient de façon plus ou moins apeurée le boulet de corps qui foncent sur eux, poussant petits cris et rires nerveux, d'autres restent immobiles, acceptant d'être bousculés et salis sans broncher. Certains se contentent d'observer de loin, alors que d'autres cherchent à se rapprocher le plus possible.

Lorsqu'ils se libèrent finalement de leur étreinte et se promènent chacun individuellement à travers le public, cherchant les regards des gens, s'approchant d'eux jusqu'à les toucher, les interprètes, encore là, obligent le spectateur à réagir. Évitera-t-il leur regard, esquivera-t-il le contact ou, à l'image de cette jeune fille vue le soir de la première, esquissera-t-il une lente danse enlacée avec l'un d'entre eux?

Au-delà des mouvements exécutés par les interprètes, Soudain tout est noir de monde est surtout intéressant pour ce moment de rassemblement qu'il réussit à créer, dans un même espace. Et pose du même coup la question de l'altérité, de la rencontre avec l'Autre - l'autre étant ici vous, le spectateur.

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Aujourd'hui et demain au Studio Hydro-Québec du Monument national