On connaît l'aversion du metteur en scène Jérémie Niel pour les pièces bavardes. On ne s'attendait donc pas à une relecture littéraire du mythe de Phèdre. Et certainement pas à la version en alexandrins de Racine, même si quelques vers ont (heureusement) réussi à se faufiler dans la libre adaptation de l'auteur.

Ce qu'on a vu, finalement, c'est du pur Jérémie Niel: une ambiance lourde et sombre, des effets sonores à profusion [signés Tomas Furey], de courtes saynètes très cinématographiques avec «arrêts sur images», des silences entrecoupés de bribes de textes, des voix amplifiées et des acteurs presque immobiles.

Malheureusement, l'auteur et metteur en scène ne parvient pas à nous faire entrer dans la danse macabre de ses personnages, dépouillés des mots de Racine [et Sénèque et Kane].

Phèdre, femme de Thésée, est amoureuse de son beau-fils Hippolyte. Au moment où on croit Thésée mort, Phèdre avoue son amour à Hippolyte. Mais Thésée ressurgit et Phèdre est envahie par un sentiment de culpabilité. Sa confidente, craignant qu'elle ne s'enlève la vie, révèle à Thésée que son fils a tenté de séduire sa femme...

Toujours dans la version de Racine, Hippolyte prend la route de l'exil, mais finit par être tué par un monstre marin. Foudroyée par la nouvelle, Phèdre avoue tout à Thésée et se tue. Jérémie Niel recrée sa mort dans une scène de lapidation entièrement sonore qui se déroule dans l'obscurité de la salle.

Récit tortueux

C'est le sentiment de culpabilité de Phèdre que Jérémie Niel a voulu mettre en scène. Autant que le jugement de la société à son endroit.

En soi, ce postulat n'est pas inintéressant. Mais les tableaux abstraits de l'auteur ne créent aucune émotion. Seul le personnage de Mani Soleymanlou, sorte de spectateur contemporain qui tourne autour des personnages du mythe de Phèdre, cherchant à comprendre ce drame, nous empêche de décrocher complètement de cette proposition - et ce, même si sa présence n'est pas toujours justifiée.

La distribution était pourtant prometteuse avec Emmanuel Schwartz et Marie Brassard en tête (qui se démarque des autres). Mais soyons francs: le danseur et chorégraphe Benoît Lachambre n'aurait pas dû s'improviser acteur. Sa performance, caricaturale, n'était absolument pas crédible. Pourquoi ne pas avoir fait danser son personnage de Thésée plutôt que de le faire parler?

Malgré quelques scènes sonores brillamment conçues, on se perd vite dans ces fragments de Phèdre que nous balance Jérémie Niel.

L'agitation des personnages à bout de souffle - en particulier Hippolyte (Emmanuel Schwartz), qui multiplie les scènes de convulsions et les cris de désespoir - n'enrichit en rien ce récit tortueux qui aurait pourtant dû trouver un écho avec ses thèmes de l'amour interdit et de la culpabilité. Dommage.

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À la Cinquième Salle de la Place des Arts ce soir (dernière représentation).