«Ce que vous allez voir ce soir n'est pas un spectacle», prévient la voix déshumanisée qui résonne dans les haut-parleurs. Outrage au public de Peter Handke n'est pas une pièce conventionnelle, en effet. Elle ne raconte pas d'histoire, mise sur des non-personnages et s'attaque à ce qui demeure au coeur du théâtre en ce début de XXIe siècle: l'illusion théâtrale.

Christian Lapointe en présente une version qu'il veut encore plus radicale. Il a éliminé les comédiens au profit de voix de synthèse qui disent le texte de Handke et placé le public face à lui-même, c'est-à-dire devant un écran sur lequel est projetée, en direct, l'image de l'assistance.

Il y a quelque chose de comique dans ce procédé, puisque le texte stipule justement que cette pièce n'est pas un miroir tendu au spectateur, comme le veut la célèbre formule shakespearienne. Ce n'est pas le seul paradoxe soulevé par le texte et le dispositif mis en place par Christian Lapointe, qui interrogent en outre cette passivité et ces automatismes qui font parfois de nous des morts-vivants.

S'agit-il d'un spectacle? Laissons les spécialistes en débattre et établissons ceci: du moment où il y a une caméra, un écran et des gens pour regarder, la tentation du spectacle est grande. Il y a d'ailleurs quelque chose du «théâtre-réalité» dans cet Outrage au public dont les spectateurs sont les sujets et les rejets.

Les réactions du public

En effet, ce qu'il y avait de plus intéressant dans cette expérience, ce n'est pas le questionnement des conventions du théâtre, des attentes du public, du formatage du théâtre et autres sujets connexes qui hantent depuis des décennies les pourfendeurs du théâtre bourgeois, ce sont les réactions du public.

En l'absence d'acteurs en chair et en os, plusieurs spectateurs se sont autorisés à discuter entre eux et même à changer de place. Parfois pour mieux se donner à voir, comme ce jeune homme venu jusqu'au premier rang pour exécuter un mime frénétique et cette jeune femme qui a fini par se coucher par terre devant les gradins en affichant l'air détaché de celle qui n'est pas dupe...

Il y a un petit quelque chose de la téléréalité dans tout ça, puisqu'on passe la soirée à observer les réactions des uns et des autres. Et une évidence: en l'absence d'acteurs, le texte, volontairement déshumanisé, est un peu passé dans le beurre. L'outrage aussi: au moment des insultes, bien des gens semblaient avoir déjà décroché...

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Jusqu'au 7 juin, 21h, au Théâtre La Chapelle.