En cinq ans et une demi-douzaine de pièces, Étienne Lepage a su faire sa marque dans le paysage dramaturgique. Son théâtre - traduit et joué outre-Atlantique - est la voix d'une génération qui refuse le statu quo. Portait d'un jeune homme en (douce) colère.

Les printemps se suivent et ne se ressemblent pas. L'an dernier, à pareille date, Étienne Lepage se faisait matraquer et arrêter par des policiers dans une manifestation au centre-ville. Avec sa blonde, doctorante en sociologie des arts, Lepage s'occupe de l'UPop Montréal, une université populaire qui offre à la population un accès libre et gratuit au savoir. Alors le mouvement du printemps érable, il a plongé dedans.

Aujourd'hui, bien qu'un carré rouge soit toujours visible sur le balcon de son logement du quartier Rosemont, l'auteur est plus occupé par son horaire que par la rue. Il n'a même pas eu le temps d'aller à New York voir Bite Your Tongue, la traduction de Rouge Gueule présentée au New City Theatre. Car il se rend souvent en Belgique afin de préparer une création avec des artistes belges.

Après la reprise de L'enclos de l'éléphant, ce mois-ci à l'Espace libre, le Festival TransAmériques présente sa nouvelle pièce Ainsi parlait..., que Lepage a écrite conjointement avec le chorégraphe Frédérick Gravel.

Dans la vie comme au théâtre, Étienne Lepage croit à la théorie du coup de pied au cul. C'est pour ça qu'on lui accole facilement l'étiquette de provocateur. «La révolte est son moteur», dit Claude Poissant, le directeur du Théâtre PàP qui a mis en scène Rouge Gueule, en 2009. «Étienne s'anime et cherche le point de discussion sur tous les sujets. Il est toujours à la recherche d'un monde meilleur. Il est outré par l'injustice, le statu quo. Mais au fond, c'est un tendre, un doux.»

«En effet, je suis un dark douillet, confirme Lepage en riant. Quand on dit provocation au théâtre, on pense à In yer face, vulgarité, coup de poing au visage. Pour moi, la parole peut être dangereuse, brutale... et aussi libératrice, raffinée. Par provocation, je veux proposer un objet qui présente une dimension de l'être humain qu'on n'a pas l'habitude de voir, qui déstabilise le public parce qu'il laisse place à une certaine ambiguïté.»

Ce qui ne crée pas d'ambiguïté à ses yeux, c'est le rôle de l'artiste dans la société. Pour Lepage, l'art est politique et le créateur doit s'engager comme citoyen. «Attention, je ne dis pas aux gens quoi faire ou ne pas faire. Sinon, j'écrirais des pamphlets, pas des pièces. Mais le théâtre doit nous confronter, nous faire réfléchir, nous rendre plus conscients, nous élever comme citoyens.»

Citoyen. Le mot revient souvent dans sa bouche: «Parce qu'il y a un problème avec le concept de citoyen dans la société. De nos jours, les gens veulent des droits, mais pas de responsabilités; vivre dans un pays riche, mais ne pas payer d'impôts! Or, c'est la base du contrat social, payer ses impôts!»

L'influence paternelle

Longtemps, Étienne Lepage a cherché sa voie. Fils d'un musicien et compositeur de musique de film (Robert M. Lepage) et d'une mère designer, enfant, il va naturellement vers les arts. Au secondaire, à l'école FACE, l'élève crée de courtes pièces dans lesquelles il joue. Après avoir voulu devenir comédien («Je ne suis pas un bon acteur», avoue-t-il), le jeune Étienne monte du théâtre amateur au Centre Calixa-Lavallée, croyant amorcer une carrière de metteur en scène. Mais le succès n'est pas au rendez-vous.

Alors, Étienne Lepage s'inscrit à l'université en philosophie et en sciences politiques. Des études qui nourrissent son côté intello, mais frustrent le créateur en lui.

Un jour, son père lui parle du programme d'écriture dramatique de l'École nationale de théâtre. «L'École m'a complètement changé, dit-il. J'y ai appris l'humilité, la générosité, en plus du savoir-faire. Je suis sorti de mon intellectualisme, de mes prétentions, pour puiser dans mes émotions. Et je suis devenu un auteur.»

Détruire pour mieux bâtir

Avec Ainsi parlait..., Lepage renoue avec la forme des monologues de Rouge Gueule, mais sur un autre registre. Comme il s'agit d'une oeuvre à quatre mains, la dimension écrite se confronte à la gestuelle de Frédéric Gravel.

«Je m'amuse encore à provoquer», constate l'auteur de 33 ans. «Je fais exprès d'amener mes observations dans des zones extrêmes, inconfortables.»

Le titre de l'oeuvre fait référence à Nietzsche, pour son côté à la fois «destructeur et très constructif». «Nietzsche voulait détruire les règles sociales afin que l'individu se libère et devienne plus conscient de sa servitude», explique le dramaturge.

Après le FTA, Lepage amorce un nouveau cycle d'écriture. «J'ai commencé à faire une relecture de Peter Pan, une version québécoise qui se passe dans Hochelaga pour un jeune public. J'ai aussi en chantier une pièce sur la notion de bouc émissaire qui pourrait être créée au Théâtre d'aujourd'hui.»

Sa prémisse? «L'hostilité et la violence dans la société se déchargent toujours par transferts. Lorsqu'une chose nous agace, on se venge sur autre chose que l'objet de notre frustration. On choisit un individu ou un groupe marginal, sans les mêmes moyens de défense, comme les gais, les minorités ethniques ou religieuses, les femmes.»

Chassez le politique, il revient au galop.

Ainsi parlait... Du 5 au 8 juin, à l'Agora de la danse, dans le cadre du FTA.