Le danseur et chorégraphe français Boris Charmatz, qui dirige le Centre chorégraphique national de Rennes, ne cherche ni la polémique ni le compromis. Il nous présente dès ce soir Levée des conflits, une installation vivante qui prône la neutralité, où 24 danseurs reproduisent en boucle les 25 mêmes mouvements. Un exercice que le créateur de 40 ans compare à une performance de marathonien. La Presse a profité de son passage à Montréal pour lui poser quelques questions.

Q : D'où vous est venue l'inspiration de cette pièce?

R : L'idée est simple. J'avais envie de faire une chorégraphie où il n'y aurait pas de début, pas de fin et où on pourrait voir tous les mouvements exposés en une seconde. Pas une chorégraphie avec une dramaturgie, mais une chorégraphie où tout serait visible. C'est un peu le principe d'un canon musical. Dans la pièce, chacun des 24 interprètes passe d'un mouvement à l'autre, mais jamais en même temps. Du coup, on est un peu face à une sculpture. Les danseurs bougent tout le temps, mais du point de vue du spectateur, d'une certaine façon, la pièce ne bouge pas.

Q : Quel sens donnez-vous au titre de la pièce, Levée des conflits?

R : C'est une pièce où il n'y a pas de drame. C'est pareil du début à la fin. Et puis, j'avais l'impression que, finalement, on passait d'un mouvement à un autre, non pas par contrastes, mais petit à petit, par nuances. C'est là que j'ai pensé que ça pouvait être une danse de paix qui prône la neutralité. J'avais lu les cours sur le neutre de Roland Barthes, où il parle de permanence. Et je me suis reconnu là-dedans. Le mouvement circule, on se le passe comme un témoin. Il y a quelque chose de perméable entre les corps. Les comédiens n'interagissent pas ensemble, mais ils font partie du même système interdépendant.

Q : Qu'est-ce que vous espérez susciter chez le spectateur?

R : J'espère qu'à la fin de cette pièce, il y ait des gens qui puissent la danser. Il y a des enfants qui l'ont vue, et qui la dansent. Ils ne peuvent bien sûr pas reproduire les 25 mouvements, mais ils peuvent en faire au moins 10. On voit comment les danseurs font. Ce sont des mouvements oscillants, très empathiques. En tant que spectateur, on est en train de comprendre comment la pièce est chorégraphiée. On voit comment ça se fabrique. La danse passe d'un danseur à un autre, comme j'aimerais que les choses circulent d'une personne à une autre dans la société.

Q : Pourquoi vous avoir accolé l'étiquette de chorégraphe de la non-danse?

R : C'est un débat qui a été soulevé par une journaliste du Monde dans les années 90. Elle disait que ce qu'on faisait n'était pas de la danse, qu'on était des intellectuels dans le refus, que c'était de la non-danse. Moi, je crois qu'on peut dire ça de tous les artistes modernes. On a dit de Beckett qu'il faisait du non-théâtre, alors que c'est du théâtre. Du grand théâtre. Après, on peut dire que la non-danse fait aussi référence à une danse qui pose question. Comme c'est le cas de Levée des conflits.

Q : Parlez-moi de votre projet de danse muséale. De quoi s'agit-il?

R : J'avais envie de réfléchir à un espace pour la danse qui ne serait ni une école ni un théâtre. Les musées, qui accumulent les objets, réalisent aujourd'hui qu'ils doivent aussi être des musées de la performance, du mouvement, de la pensée. Au-delà de ce qu'on peut faire dans un musée, je me suis posé la question: si nous, on avait un musée de la danse, qu'est-ce qu'on retrouverait dedans? Levée des conflits répond en partie à cette question dans le sens où la pièce rassemble une collection de mouvements. Nous la présenterons d'ailleurs au Museum of Modern Art (MoMA) de New York l'automne prochain.

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Ce soir et demain au Théâtre Jean-Duceppe de la PdA.