La frontière entre théâtre et réalité a rarement été aussi ténue qu'au cours des derniers jours. Sur papier, la programmation du Festival TransAmériques s'annonçait politique. Plusieurs spectacles, de fait, se sont révélés particulièrement engagés dans notre époque, voire dans l'actualité, comme en témoignaient les photos de manifestations étudiantes intégrées à la production italienne Alexis, Una Tragedia Greca.

Seeds, à l'affiche jusqu'à demain au Théâtre d'Aujourd'hui, traite aussi d'un sujet d'actualité même s'il ne fait plus la une des journaux et des bulletins télévisés depuis longtemps: la commercialisation et la culture de semences génétiquement modifiées (OGM). Qui s'y frotte? Annabel Soutar et la compagnie de théâtre documentaire Porte-parole. Avec éloquence, sérieux et inventivité, encore une fois.

La dramaturge d'investigation explore cette question complexe en prenant appui sur le procès que Monsanto, géant des herbicides et des biotechnologies, a intenté contre Percy Schmeiser, un agriculteur de la Saskatchewan, pour violation de brevet après que des plants de soja génétiquement modifiés eurent été trouvés dans ses champs. Un duel à la David contre Goliath, mentionne encore le site internet du cultivateur.

Maniaque d'exactitude et soucieuse d'aller au-delà des apparences médiatiques, Annabel Soutar a mené sa propre enquête. Elle a lu les minutes du procès et effectué de multiples entrevues avec M. Schmeiser lui-même, ses concitoyens, des gens de Monsanto et des spécialistes des biotechnologies.

Seeds raconte sa quête dans un spectacle coupé en deux. La bataille juridique occupe la première partie, alors que dans la deuxième, la documentariste revient aux questionnements philosophiques et scientifiques effleurés au tout début de la pièce: qu'est-ce que la vie? Qu'est-ce qu'un OGM? Qu'en disent les scientifiques? Peut-on breveter le vivant?

C'est du sérieux, bien sûr. Mais c'est aussi du théâtre. Avec de bons acteurs, d'abord, mais surtout mis en scène d'une manière particulièrement inventive et limpide par Chris Abraham. Son travail s'avère remarquable dans la première partie du spectacle où l'action se déplace continuellement dans l'espace et le temps. La scénographie fragmentée et une utilisation judicieuse des accessoires guident le spectateur dans ce dédale juridique et théâtral.

Puis, en deuxième partie, le dépouillement de la scène va comme un gant aux questionnements fondamentaux de l'auteure. Cette calme scénographie permet en effet d'être totalement à l'écoute d'une foule d'enjeux sous-jacents. Il est question de financement de la recherche, d'un changement de culture chez les chercheurs (qui deviennent parfois entrepreneurs en biotechnologie), des systèmes de contrôle et d'une foule d'autres questions d'ordre moral.

Annabel Soutar, interprétée par Liisa Repo-Martell, avoue être incapable de déterminer si Percy Schmeiser dit toute la vérité. Elle s'interroge sur les objectifs de Monsanto. Elle dresse toutefois ce constat: la bataille menée par Percy Schmeiser a fait des petits partout sur la planète. Sa pièce Seeds, elle, rappelle que l'enjeu des OGM à la mode au tournant des années 2000 recèle une foule de questions importantes qui demeurent en suspens. Là, quelque part dans l'ombre de l'oeil médiatique.

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Jusqu'à samedi, à 19 h, au Théâtre d'Aujourd'hui.