Il y a des dates qui ne s'oublient pas. Le 13 novembre dernier, Oxmo Puccino était, comme le reste de la planète, ébranlé par les attentats de Paris. Une bien triste journée pour lancer son album La voix lactée. Ironiquement, c'est avec la volonté de faire sourire les gens qu'il avait imaginé cet opus. Entrevue avec le rappeur français de 41 ans, en spectacle au Métropolis samedi soir.

Dans quel état d'esprit avez-vous écrit La voix lactée ?

On est entrés en studio un peu après le 7 janvier [2015], date des attentats de Charlie Hebdo. Je me suis dit que ma contribution à ce monde chaotique passerait par quelques textes entiers qui feraient du bien. Si l'écoute d'une chanson peut apporter du réconfort, j'ai gagné la partie. Le 13 novembre, j'étais assommé, comme tous ceux qui ont vécu cet évènement de près ou de loin. Je n'ai même pas pensé à l'album. Lorsque j'ai rencontré Aristide, un jeune rugbyman très courageux qui a survécu avec sa soeur aux attentats malgré ses blessures, il m'a fait part du bien-être que lui a apporté l'album. J'avais rempli ma mission. Il est aujourd'hui retourné sur le terrain et va connaître une belle carrière.

Sur votre album, vous parlez notamment de votre nostalgie des années 90, de la vie dans une famille monoparentale et vous faites l'éloge de la lenteur. Ces thématiques correspondent-elles à votre mode de vie ?

J'écris vite, mais c'est le fruit d'une longue réflexion. Ce sont des choses qui sont en moi, que j'écris et que je cherche à régler. Je trouve les paroles réparatrices. L'écriture me sert à transmettre, guérir, soigner. Le titre Slowlife est une prise de conscience de la vie qu'on mène à un instant T. Il faut parfois prendre le temps de vivre, de regarder les arbres, d'écouter les oiseaux chanter et de discuter avec des amis, pour se rappeler que les choses prennent du temps.

Quel rapport entretenez-vous avec Montréal ?

Ce n'est jamais le même plaisir, car il se décuple chaque fois que je reviens. Les Montréalais m'ont accueilli très chaleureusement à une époque où je pensais abandonner la musique, en 2005. C'était une période pas évidente pour moi après Le cactus de Sibérie, juste avant mon album de jazz. Quand je suis arrivé au Québec, j'ai eu l'impression d'être important quelque part. Ça m'a donné la foi de pouvoir continuer au-delà de ce que j'avais prévu. Lors du concert, il y avait même eu une « ola » [vague créée par la foule], comme dans les stades, et je n'avais jamais vécu ça ! En plus, les Québécois ont ce rapport à la langue française qui n'existe pas en France. Nous ne sommes pas cernés de pays qui veulent sa disparition comme chez vous. Rencontrer un peuple qui entretient ce rapport-là au français, c'est un peu comme être dans le bain pour moi !

Vous faites de la musique depuis plus de 20 ans. Que pensez-vous du rap aujourd'hui ?

Je trouve qu'on est passé de cette musique qui a un fond au divertissement pur et dur. On parle de rap pour faire référence à quelque chose qui ressemble à une énergie des années 90, mais ce n'est plus le cas. Du rap, on a gardé le folklore, le look, l'attitude, certaines postures, mais surtout pas la musique et encore moins les textes. Ce que le rap a dénoncé pendant un certain temps n'a pas changé. À défaut de dénoncer la même chose, et avec le succès rencontré, le changement de direction était prévisible. Le rap reste un témoin de son époque, c'est-à-dire d'une volonté de ne pas trop approfondir les sujets graves et de s'évader, à coups de clics de souris. Le rap comme on l'a connu n'existe plus ; on est face à la variété urbaine. Quand je m'identifie comme rappeur, ce n'est que pour donner des repères, dire d'où je viens.

Alors comment doit-on vous décrire ?

Je suis un poétiseur. C'est la version moderne du troubadour. C'est une proposition artistique globale. Il y a une expression scénique, du texte, de la musique, un peu de stand-up, de la chanson, un peu de danse et beaucoup de lumière. C'est du divertissement avec un second degré pour ceux qui veulent pousser la réflexion.

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre passage au Métropolis ?

Ce n'est pas un concert, mais un spectacle. Nous mettons des costumes, il y a une disposition scénique, les musiciens jouent de plusieurs instruments. Il y a une chorégraphie. On est au-delà du rappeur qui vient chanter ses chansons debout. L'album est une proposition musicale, mais ce qu'on propose sur scène est une sorte de témoignage à long terme.

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Au Métropolis samedi soir, à 21 h ; première partie de D-Track