Jane Birkin n'a pas hésité quand les FrancoFolies de Montréal lui ont proposé, l'an dernier, de revisiter le répertoire de Serge Gainsbourg avec l'Orchestre symphonique de Montréal à l'occasion du 25anniversaire de sa mort.

« J'ai dit oui tout de suite, mais après, j'ai pensé sincèrement que je n'y arriverais pas parce que j'avais été assez malade et que ça me semblait un songe lointain... », a chuchoté - laryngite oblige - la muse et interprète du grand Serge quand nous l'avons rencontrée dans sa suite d'un hôtel du centre-ville cette semaine.

Birkin ne l'a pas eue facile ces dernières années. Elle a souffert d'une maladie auto-immune et sa fille aînée Kate s'est donné la mort. On l'a revue lire des textes de Gainsbourg avec Michel Piccoli et Hervé Pierre au Festival international de littérature l'an dernier, mais la chanteuse, elle, ne nous avait pas rendu visite depuis sa tournée de 2011 avec des musiciens japonais.

« Je pense que d'entendre Jane chanter du Gainsbourg avec un grand orchestre, ça va être quelque chose d'incroyable et de très émouvant parce qu'elle a tout vécu de l'intérieur et qu'en plus, c'est son retour sur scène », nous disait récemment Arthur H qui chantera l'album mythique de Gainsbourg, Histoire de Melody Nelson, en lever de rideau.

Oui, Jane Birkin est de retour, mais elle n'a jamais eu l'intention de tout abandonner.

« Je m'en foutais un peu, j'avais d'autres priorités, d'autres chagrins. Mais c'est très séduisant comme demande. Et si sincère, si chaleureux comme vous savez l'être ici. C'est très bien que ça commence dans ce pays. Ça vient de vous et, quand les gens ont su, on a eu des offres de Shanghai. C'est insensé », dit en souriant la chanteuse qui poursuivra l'aventure Gainsbourg symphonique en Chine, en France, en Suisse, en Pologne, en Autriche et en Australie au cours de la prochaine année.

L'ALIGNEMENT DES PLANÈTES

On s'étonnera sans doute que la France n'ait pas eu l'idée de souligner avec de tels moyens la disparition de Gainsbourg. Laurent Saulnier - le programmateur des Francos - et le chef Simon Leclerc parlent d'un alignement de planètes.

Leclerc avait déjà fait savoir à la direction de l'OSM il y a deux ou trois ans qu'il aimerait monter un concert avec Jane Birkin quand l'animatrice Monique Giroux a relancé le projet. Peu après, l'agent de Jane Birkin a fait part à Saulnier de cette proposition de l'orchestre montréalais et ce dernier a aussitôt programmé le concert pour les Francos de 2016.

Saulnier a sauté sur l'occasion de réaliser un fantasme de longue date : reprendre à l'identique, en début de programme, l'album-concept Histoire de Melody Nelson, enregistré en 1971, qui serait chanté par Arthur H, accompagné de l'OSM et de 16 choristes.

Par la suite, Leclerc a recruté un trio rock pas piqué des vers, composé du bassiste Jean-François Lemieux, du batteur Tony Albino et du guitariste Jocelyn Tellier, auquel se joindra la chanteuse Stéphanie Lapointe le temps des quelques interventions que faisait Birkin sur l'album de 1971.

Histoire de Melody Nelson est à la fois une lettre d'amour de Gainsbourg à Birkin et un conte animiste dans lequel il est question du culte des avions chez les Papous de la Nouvelle-Guinée, rappelle Arthur H, qui est un choix « absolument parfait » pour remplacer Gainsbourg auquel il ressemble tellement, estime Birkin.

« Pour la première fois, on va pouvoir écouter Melody Nelson en concert avec un son puissant et on va pouvoir vraiment rentrer à l'intérieur de l'oeuvre grâce à la scène, dit Arthur H. Notre but, c'est d'être plus fidèle que fidèle à ce pari artistique fou qu'a été Melody Nelson. Le seul qui a un peu de liberté d'interprétation, c'est moi parce que je serai obligé d'avoir un peu mon propre phrasé. »

« C'est drôle d'utiliser le mot création parce qu'on va reproduire ce qui est sur le disque, sauf que ça n'a jamais été fait », ajoute Simon Leclerc qui a engagé deux personnes pour retranscrire les partitions, rock et symphonique, du disque - l'orchestrateur d'origine, Jean-Claude Vannier, ayant répondu à Laurent Saulnier qu'il n'avait pas le droit de faire le commerce desdites partitions.

Ce même Vannier a déjà monté deux concerts Melody Nelson à Londres et à Hollywood, en 2006 et en 2011, mais avec différents interprètes, anglophones pour la plupart. Or, Saulnier estimait que cette espèce d'opéra-rock à un seul personnage ne pouvait être confié qu'à un seul interprète.

DES SURPRISES

Après l'entracte, on assistera à une création d'un autre type : Jane Birkin chantera Gainsbourg sur de toutes nouvelles orchestrations du pianiste japonais Nobuyuki Nakajima. Rappelons que c'est « Nobu » et ses amis japonais qui, en 2011, ont redonné le goût à Jane Birkin de chanter du Gainsbourg, elle qui avait refusé de participer au concert hommage du Hollywood Bowl.

« Quand on a eu nos premières rencontres avec Jane, elle a été extrêmement claire : il fallait que ce soit Nobu qui écrive les orchestrations. Je comprends la fidélité d'un artiste envers un musicien et je respecte ça totalement », explique le chef Simon Leclerc qui a été en contact constant avec le pianiste japonais qui sera également sur scène vendredi et samedi.

Il y aura dans ce concert des surprises. Même pour Jane Birkin qui cite en exemple la chanson Exercice en forme de Z dont la « vague de violons » l'a conquise dès la première écoute de la maquette.

« C'était furieux comme dans une marche de samouraïs, dit-elle en riant. Nobu est un peu comme un samouraï. Il a de la noblesse et il est d'une fidélité absolue. Il m'a dit qu'il était très ému de faire tout ça pour les chansons de Serge. »

___________________________________________

À la Maison symphonique vendredi et samedi, 20 h

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Jane Birkin estime qu'Arthur H est un choix « absolument parfait » pour remplacer Serge Gainsbourg.