Réunies samedi sur la scène de la salle Wilfrid-Pelletier, deux générations de Chedid nous ont rappelé que le talent déborde dans cette famille française dont on connaît surtout Matthieu (-M-, si vous préférez). Les répertoires de papa Louis et de ses trois enfants auteurs-compositeurs-interprètes s'y sont magnifiquement recoupés, complétés, fusionnés en toute synergie.

Anna Chedid, Nach de son nom d'artiste, s'est présentée seule au clavier, elle a entonné Ce qu'ils deviennent. Puis Joseph s'est pointé, s'est mis à gratter des cordes avant de taper sur des peaux de batterie pendant que Matthieu s'amenait, guitare en bandoulière, suivi du paternel.

Question de dresser la table, Louis a chanté le soutien indéfectible d'un père à ses proches: Tu peux compter sur moi, relancée par sa prodigieuse progéniture. Cet esprit folk-pop était tout à fait propice au décollage de la vivifiante Paranoïa, gracieuseté de Joseph, alias Selim.

En terrain connu

Après de chaleureuses présentations familiales, nous étions en terrain connu: très appréciée des fans de -M-, Mojo a été interprétée a cappella, et coiffée de joyeux riffs de guitare électrique. S'ensuivit Je suis moi, une pop-claviers très catchy d'Anna Chedid, véritable hymne d'autoaffirmation... jouée à quatre. Sympathique, quoique l'instrumentation fût ici un peu mince pour ce que la chanson exigeait.

« Je me suis laissé dire qu'à Montréal il y a des danseurs », a indiqué papa Chedid. Et le public était debout dans la Wilfrid, chantant les chorus de T'as beau pas être beau, sorte de choro brésilien décliné dans un humour charmant, très judéo-frenchy. On a alors supputé la taille de la portion française de l'auditoire dans la salle montréalaise, puisque le répertoire de Louis n'a pas autant traversé l'Atlantique que celui de Matthieu.

Le baptême, un cru de -M-, fut ensuite introduit par Anna, chanteuse douée doublée d'une batteuse étonnante. La fête dans la place! On enchaînait avec Egoman, de Louis Chedid, folk éditorial sur l'indifférence et l'individualisme à outrance. Puis c'était L'infini de Joseph, folk pop qui pourrait servir de mantra.

Une pensée pour Charlie Hebdo

Et voilà ce moment de conscience: Comme un seul homme, chanson très rythmée de Matthieu écrite l'hiver dernier en hommage aux victimes de Charlie Hebdo. Paradoxalement, les fans étaient debout et criaient des « Charlie » dans un esprit festif...

Louis Chedid a calmé le jeu et chanté la pérennité du sentiment amoureux: carrément L'amour éternel, chanson de coeur « océanique ».

Joseph a repris un classique de son père qui assurait les harmonies à la guitare: Danseur mondain, chanson de déprime, carrément pessimiste... et bellement interprétée. Au tour de -M- de chanter le père, soit une version très musclée de Verre de terre (seul avec sa guitare!), texte fantaisiste de rupture intime et d'hypothétique réincarnation. À la batterie, Joseph nous a servi son Ode aux envies: « ... je voudrais dessiner, tant jouer la comédie, être un grand musicien, avoir plein de projets et me réinventer, toucher les gens, ne pas perdre mes racines... »

Indie pop et funk fumant

Plus gravement, plus sobrement, le quartette familial a interprété Anne ma soeur Anne, écrite par Louis Chedid dans les années 80 afin de dénoncer la nazi-nostalgie, soit la résurgence de l'extrême droite antisémite.

On a ensuite eu droit à Guérir, indie pop cathartique de très belle facture, chantée par Joseph, cette fois à la guitare, avec le soutien de tous les Chedid. Anna a poursuivi sur cette lancée festive avec Oh oui je t'aime, solidement construite. Le papa fut illico mis à contribution pour reprendre Machistador, ce funk fumant de Matthieu qui marche à tout coup lorsqu'on nous le balance.

Le feu était carrément pris dans la salle et -M- y a jeté de l'huile avec son tube très « Guitar Hero » Qui de nous deux, assorti d'un dialogue passionné entre sa guitare et les fans qui chantaient le chorus à gorge déployée.

On connaissait la facture folk de La belle, signée Louis Chedid; samedi soir, elle était transmutée en blues rock incandescent.

La famille Chedid avait le public dans sa petite poche et vint le bivouac, seule la guitare de -M- et les voix familiales pour Ainsi soit-il, une des plus réussies de Louis, un texte superbe évoquant le tournage métaphorique du film de nos vies.

Au rappel, on nous a servi une série de relectures acoustiques: Délivre (-M-), La bonne étoile (-M-), Âme mélodique (Anna), La Seine (-M-), Bouc Bel Air (Louis), Les absents ont toujours tort (Louis). Le point culminant fut atteint avec l'enchaînement de Triste et malheureux comme la pierre, ciselée par Louis, et de l'irrésistible Mama Sam, de -M-.

Les Chedid ont bouclé la boucle avec chacun un instrument à cordes entre les mains, misant sur les tonalités de l'amour. Ils ont conclu avec Je dis aime et avec cette chanson dont le titre est un précieux conseil: On ne dit jamais assez aux gens qu'on aime qu'on les aime.