Le nouvel album de Serge a reçu un accueil exceptionnel. Depuis son lancement, son créateur s'était fait très discret, et pour cause. En début de semaine, il nous a reçus chez lui pour faire le bilan du tourbillon qui l'a emporté depuis trois mois.

Tout de suite après le lancement de son premier album en 28 ans, le jour de son 62e anniversaire de naissance, Serge Fiori a craqué.

«Tout a lâché, je n'étais plus capable de bouger, j'étais vraiment malade. J'ai eu très peur et je suis encore au repos. Ça m'a montré à quel point j'avais donné et à quel point je peux donner dans ma condition. Je suis allé vraiment loin: je n'ai pas fait une tournée de 300 shows, mais, pour moi, c'est énorme.»

Le Fiori qui nous reçoit dans sa maison de Longueuil, trois jours après le spectacle Fioritudes qui a lancé les FrancoFolies, n'est pas déprimé. Au contraire, on sent chez cet homme fragile une sérénité, une énergie qu'il n'avait pas quand nous l'avons rencontré en février dernier. À ce moment-là, il savait qu'il tenait un album de qualité, mais il était impatient de connaître la réponse du public.

«Tu as beau t'y attendre, tu as un doute, dit-il de la réaction à ce disque qui s'est écoulé à quelque 90 000 exemplaires en trois petits mois. Les commentaires que j'ai reçus ne disaient pas seulement: «Bravo Serge!» Les gens avaient vraiment écouté mon album et ils analysaient les chansons.»

«J'ai tout fait pour ne pas y aller»

Cet album-là, Fiori ne l'a pas fait uniquement pour les convertis. «Il est quand même différent des autres; il est en 2014. Tout ça me passait par la tête en regardant le show de vendredi [le 13 juin]. Ça fait deux jours que je suis assis ici en petite boule et que j'essaie de récupérer.»

Il a longuement hésité à assister à ces Fioritudes: «J'ai tout fait pour ne pas y aller. J'avais toutes les excuses: je n'avais pas dormi pendant quatre jours, j'étais sur les pilules.»

Après la première partie consacrée à des chansons du passé, Fiori regagnait la loge où il était à l'abri des regards quand il a entendu les premiers accords de la chanson Le monde est virtuel. Le rideau n'était même pas levé que le public applaudissait déjà.

Fiori raconte: «Je m'étais dit qu'ils allaient avoir un problème en arrivant avec le nouvel album après En pleine face et Depuis l'automne [d'Harmonium]. Mais non: à chaque fucking toune, les gens réagissaient et chantaient déjà le texte. C'est du jamais vu, pas juste au Québec, mais n'importe où dans le monde: jouer l'intégrale d'un disque lancé il y a trois mois alors que le chanteur n'est même pas là!»

Un cahier plein de notes

Fiori a viré à l'envers. «C'est une grande souffrance de laisser aller mon album, de ne pas être sur scène, mais de le recevoir. Quelqu'un d'autre commence à le chanter, se l'approprie et je tire sur la couverte, j'ai l'impression que le petit part à l'adoption.»

«Je n'ai jamais été dans un état aussi névrosé de déchirement, de joie et de peine. Ma blonde aussi: on braillait tous les deux, complètement débalancés, pas capables d'endurer ça.»

Mais il s'est laissé prendre au jeu: «Je me voyais chanter sur scène. Il y a des bouts où j'y allais quasiment: attendez-moi, j'arrive! Quelqu'un d'autre peut interpréter cet album parce qu'il est neuf, mais, égoïstement, ma voix me manquait.»

Quand il a entendu sa propre voix, échantillonnée, dans la chanson Si bien, il aurait souhaité qu'on éteigne toutes les lumières pour que le public ne s'imagine pas qu'il chantait pour vrai depuis les coulisses et qu'il allait s'amener sur scène. «J'ai eu un flash: dans mon show, je vais m'asseoir sur scène, prendre une cigarette et un verre de vin... et on va écouter le disque!»

Fiori blague, mais il est sérieux quand il parle de la possibilité de présenter Fioritudes en tournée, auquel cas il voudrait intervenir dans sa préparation cette fois.

«Ce n'était pas mon show, je ne m'en suis pas mêlé et je l'ai reçu vraiment comme un hommage. Je n'écoutais vraiment pas ce qui marchait ou ne marchait pas, mais, quand j'avais une minute pour me calmer le pompon, je me disais: «Non, faut que tu doubles la voix là.» J'ai un cahier plein de notes pour en améliorer la texture. Après le show, en coulisses, Marc Pérusse, avec qui j'ai coréalisé l'album, m'a dit: «Fuck! Il manquait ton 50 %.»»

Surtout, une porte s'est ouverte ce soir-là sur un éventuel retour sur scène.

Fiori explique: «Ma condition n'a rien à voir avec la présence ou pas d'un public; c'est plutôt que je ne peux pas me concentrer plus qu'un certain laps de temps. Vendredi, ça m'a sauté dans la face: je ne suis pas obligé d'être deux heures et demie dans le tapis comme je l'étais à 22 ans. Depuis 30 ans, je n'acceptais pas ma condition et là, j'apprends à vivre avec. Je prends des médicaments et je me dis: «Écoute, Serge, laisse-toi vivre et si tu fais quatre minutes, ben les trois suivantes, ça sera Monique [Fauteux] qui fera un bout et après ça, tu reviendras.»»

Qu'il donne suite ou pas à cette idée embryonnaire, Fiori n'oubliera pas de sitôt l'ovation de plusieurs minutes que lui ont réservée les spectateurs des Fioritudes, qui l'ont repéré dans sa loge une fois le rideau tombé: «J'étais bouleversé, je braillais, mais, pendant une minute, je me suis calmé, je leur ai jeté un regard serein et les cris ont doublé. J'ai trouvé hallucinant que les gens reconnaissent mon bien-être. J'étais tellement mal avant.»