Elle l'a dit au moment du rappel, Isabelle Boulay s'est également fait plaisir en consacrant son plus récent album à Serge Reggiani.

Samedi soir au Théâtre Maisonneuve, c'était un peu comme si le grand interprète venu à la chanson à 42 ans, et disparu il y a dix ans, tendait le flambeau à la chanteuse qui aura le même âge dans deux semaines. Ce n'est pas une affaire de numérologie, mais une histoire de coeur imprégnée d'un immense respect pour ce métier parfois ingrat d'interprète auquel Isabelle Boulay, comme Reggiani jadis, restitue ses lettres de noblesse.

Ce Merci Serge Reggiani, sur disque comme en spectacle, n'est pas un copié-collé de son répertoire. La chanteuse et ses réalisateurs Philippe B et Benjamin Biolay ont gardé intact l'esprit de chacune des chansons retenues, les immortelles comme les moins connues, et les ont la plupart du temps parées d'atours plus sobres, plus dépouillés que la déferlante de cordes dans laquelle baignaient plusieurs chansons de l'époque.

C'est cette approche qui donne toute la place à l'interprète, qu'on a retrouvée samedi. C'était parfois même un peu plus proche de la chanson française classique que sur le disque: avec une batterie plus discrète, Ma liberté sacrifiait un peu de son rythme pop des années 60 et T'as l'air d'une chanson n'avait plus cette touche moderne que lui confère sur disque la guitare atmosphérique du Français Nicolas Fiszman. Par contre, Sarah donnait dans le blues-rock.

Sans doute ces choix conféraient-ils plus d'unité au récital. Comme Reggiani s'appropriait ces chansons pondues par d'autres en donnant l'impression de les avoir écrites lui-même, Isabelle Boulay et ses cinq superbes musiciens les réclament aujourd'hui avec un goût qui les honore. Ainsi, Venise n'est pas en Italie qui n'était pas concluante en studio, était convaincante avec pour accompagnement le seul piano de Benoît Sarrasin, venu en relève de la directrice musicale Josianne Hébert le temps de quelques chansons qui ne sont pas sur l'album.

La présence de ce pianiste avec lequel la toute jeune Isabelle Boulay a chanté Reggiani pour la première fois prouve aussi que le métier d'interprète qu'elle pratique est fondé sur la générosité. Cette générosité qui a incité la vedette à laisser le réalisateur de ses rêves, Philippe B, chanter la seule chanson de la soirée qui n'ait aucun lien avec Reggiani: la sienne propre Calorifère.

Une affaire de noblesse, de goût, de générosité et de coeur. Pas pour rien que sur le rideau noir derrière tout ce beau monde, Serge Reggiani esquissait un sourire.