Catherine Ringer a le bonjour chantant au bout du fil. Rien d'étonnant de la part de cette femme qui peut chanter le répertoire des Rita Mitsouko et le tango à la manière du Gotan Project avec un naturel qui force l'admiration. Comme si le tango n'était pour elle qu'un autre terrain de jeu très fertile où son remarquable talent peut s'exprimer.

«Franchement, je suis heureuse de mettre mes qualités d'interprète au service de choses qui ne sont pas forcément mes compositions ou nos compositions à Fred [Chichin] et moi-même, ou même les dernières compositions que j'ai pu faire depuis qu'il est mort, dit-elle au téléphone. Je suis vraiment très heureuse en tant qu'interprète de pouvoir justement donner ce jeu.»

Catherine Ringer n'est pas hispanophone; pourtant, le tango revisité par Christoph Müller et Eduardo Makaroff sur le disque de Plaza Francia - du nom d'une place à Buenos Aires - convient parfaitement à cette chanteuse théâtrale.

«J'ai un caractère qui colle bien à cette musique, acquiesce Catherine Ringer. Ce n'est pas si loin de la chanson réaliste française au chapitre du ressenti. La chanson réaliste - bon, Trenet était plutôt swing, mais avant il y avait Damia, Fréhel ou Piaf, la plus connue - c'est tatidadi tatadada, c'est un peu tango quand même.»

La clé, c'est de faire ça sérieusement sans se prendre trop au sérieux. Qu'on sente malgré la barrière de la langue et le respect pour cette tradition musicale le clin d'oeil et la fantaisie indissociables de la Catherine Ringer qu'on aime.

«Les Müller-Makaroff ne faisaient pas du tango à l'ancienne avec Gotan Project, rappelle la chanteuse. Ils font des chansons de tango à la manière d'aujourd'hui, dans le sens où c'est pop aussi. Il y a de l'électro sur le disque et ils ont aussi fait appel à Gustavo Beytelmann, un monsieur plus âgé que nous, donc un vieillard (elle pouffe de rire) de tango et de musique de film, de violon. C'est très beau.»

Convaincante, la chanteuse

Plaza Francia, c'est aussi une manière de souligner que le projet est né en France où habitent depuis longtemps le Suisse Müller et l'Argentin Makaroff. Les deux hommes ne voulaient surtout pas d'une chanteuse de tango classique et ont cherché d'abord du côté des chanteuses anglophones.

«Les Anglo-Saxons en général ont un accent assez prononcé, explique Müller. J'aime beaucoup les disques de Nat King Cole quand il chante en espagnol; ça a tout à fait son charme. Du coup, Catherine, c'est presque trop bien: elle a presque un accent parfait, mais il reste quand même une petite touche qu'on peut déceler si on connaît bien...»

D'autres chanteuses avaient déjà commencé à travailler avec les deux musiciens quand ils ont demandé à Miss Ringer si elle voulait enregistrer une ou deux chansons avec eux.

Elle raconte: «Ça c'est bien passé et, un peu plus tard, ils ont eu l'idée de me demander si je ne voulais pas tout faire parce que ça leur avait beaucoup plu et que, pour la scène, vous vous imaginez s'il fallait qu'ils trimballent 15 chanteuses. Les histoires! Je rigole, mais c'est vrai aussi.»

Müller renchérit: «Les deux morceaux qu'elle a faits, c'était quand même vraiment très bluffant. Mais on ne pouvait s'imaginer qu'elle voudrait faire la scène aussi. On se demandait si elle pouvait chanter certaines chansons, mais elle l'a réussi avec bravoure. On les a adaptées un peu à sa tonalité et, une fois qu'on a vu qu'on allait vraiment tout faire avec elle, on a fait deux ou trois chansons avec elle en tête.»

Essais-erreurs

En concert, Plaza Francia va également puiser dans le répertoire de Gotan Project, même si les deux approches sont différentes, Plaza Francia privilégiant les chansons courtes et assez écrites composées en mode majeur.

«Le résultat ne sonne pas du tout comme de la musique expérimentale, mais le processus lui-même est quand même très «laboratoire» avec des essais, des erreurs et parfois des résultats surprenants, explique Müller. Sur scène, pour nous, c'est très enthousiasmant parce qu'on est un vrai band, qui accompagne une énorme interprète. Chez Gotan, les musiciens jouaient avec les machines et là, nous, on joue ensemble. C'est très agréable.»

Au Théâtre Maisonneuve, ce soir, 20h



Que leur réserve l'avenir?

> PLAZA FRANCIA

Le contrat de Plaza Francia prévoit l'enregistrement d'un deuxième album. Avec ou sans Catherine Ringer?

«Je me suis laissé la liberté et, en même temps, ils peuvent changer de chanteuse parce ce sont des auteurs-compositeurs et que je suis une interprète», répond Catherine Ringer. Christoph Müller ajoute: «On est en tournée ensemble et la dynamique est très agréable. On a des nouveaux morceaux qu'on va jouer à Montréal, j'espère. J'espère donc fortement que c'est quelque chose à long terme, oui.»

> CATHERINE RINGER

«J'étais en train de faire de nouvelles chansons quand ils m'ont appelée. J'en suis à 15 ou 20 %. On ne sait jamais de quoi est faite la vie et il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué, mais j'ai de bons trucs que j'ai envie de continuer. Après, je ne sais pas ce que ça va donner.»

> GOTAN PROJECT

Philippe Cohen-Solal, troisième membre - et leader - du Gotan Project n'est pas de l'aventure Plaza Francia. «Je ne sais pas exactement ce qui se passe avec le troisième, mais je ne crois pas que ce soit de belles choses», nous a dit Catherine Ringer. Christoph Müller flaire la question piège: «Disons qu'on ne se fréquente pas beaucoup ces temps-ci. Le groupe existe encore, mais il n'est pas en activité. L'avenir nous dira ce qui va se passer. Nous, on ne le sait pas.»