Luc Picard connaît Serge Fiori depuis des années. «Et je suis un gros fan de sa musique depuis 150 ans», ajoute celui à qui on a demandé d'être le codirecteur artistique du spectacle Fioritudes qui lancera les 26es FrancoFolies, vendredi.

Le défi de Picard et du directeur musical Marc Pérusse n'est pas banal: monter le spectacle que Serge Fiori aurait fait pour souligner la parution de son premier album en 28 ans... en l'absence du principal intéressé.

Fiori, on le sait, n'est pas monté sur scène depuis la fin d'Harmonium et, même si ce n'est pas l'envie qui lui manque, il s'en croit incapable à cause de ses problèmes de santé. Comme il le dit lui-même à ses proches: «J'ai peur de ne pas me rendre.»

Picard a hésité jusqu'à ce que Pérusse lui explique qu'il voulait être fidèle à l'oeuvre de son ami Fiori. «Là-dedans, je trouve que je peux être utile, dit le metteur en scène. J'ai une intimité avec Serge qui fait que je sais pas mal ce qu'il voulait faire avec telle ou telle toune.»

Porteurs du flambeau

Le mandat était clair: demander à d'autres voix de chanter le nouveau Fiori tout en se collant le plus fidèlement possible à la musique du disque jouée sur scène par le noyau de musiciens qui y a contribué en studio. Et comme on ne fait pas un spectacle complet à partir d'un seul album, la première partie de la soirée sera consacrée à des chansons que Fiori a pondues pour Harmonium, Fiori-Séguin, son album solo de 1986 ainsi que pour Nanette Workman et Diane Dufresne.

On a tendu symboliquement le flambeau de l'artiste de 62 ans à quatre chanteurs et musiciens dans la trentaine: Marie-Pierre Arthur, Catherine Major, Alexandre Désilets et Antoine Gratton auxquels se joindront, pour interpréter le nouvel album, Coral Egan et Ian Kelly ainsi que Daniel Lavoie, un contemporain de Fiori, et Monique Fauteux, l'incontournable âme soeur que Fiori n'a jamais perdue de vue depuis L'Heptade. «Elle va faire des choses qu'elle n'a jamais faites», dit Picard.

Pas question de feu d'artifice ni de projections: on veut laisser toute la place aux chansons, à l'image de leur créateur, explique Picard qui veut que se crée une symbiose entre la dizaine de musiciens et le quatuor de jeunes chanteurs en les gardant sur scène le plus longtemps possible.

«Le piège des spectacles-hommages, c'est quand les artistes entrent et sortent continuellement et qu'on n'a pas ce lien avec le public tout au long du spectacle. Aussi, on ne revisite pas les chansons; on les fait telles quelles en essayant vraiment de rester complètement respectueux de ce qui avait été fait au départ. On veut trouver une espèce de vérité qui fasse qu'on passe un vrai deux heures à triper sur de la musique.»

Une présence tangible

Fiori a donné son accord aux organisateurs qui le tiennent au courant des grandes lignes du spectacle, mais il ne se mêle pas de son organisation. Même qu'à l'exception d'Antoine Gratton, qu'il a croisé deux secondes dans l'escalier menant au studio de Pérusse, il n'a jamais rencontré les jeunes chanteurs de ces Fioritudes.

Fiori ne montera pas sur la scène de Wilfrid-Pelletier ce soir-là, mais il devrait assister au concert. «Sa présence dans la salle est importante pour tout le monde qui participe au show, dit Picard. C'est une présence assez bienveillante.»

Les quatre chanteurs abondent dans ce sens. «Quand je chante une de ses nouvelles tounes, mon plus grand bonheur, vraiment, c'est de faire ça pour lui», lance Marie-Pierre Arthur.

«On est là pour le ramener, pour triper Fiori et se dire, à chaque toune: c'est vrai qu'elle est bonne celle-là. On est là pour l'aimer, je pense», souligne pour sa part Antoine Gratton.

«Quand j'ai su qu'il sortait un album, j'ai dit: enfin! S'il ne voulait pas faire le spectacle, c'était clair qu'il fallait qu'il y ait quelque chose autour de ça», affirme Catherine Major. Elle estime, elle aussi, que la présence de Fiori sera tangible sur scène: «On entre dans son monde à lui, donc on n'a pas le choix de le porter avec nous, au-dessus de notre épaule. Il va vivre avec nous sur scène. C'est d'autant plus stressant qu'il va être là pour nous écouter. J'espère que ça va lui plaire. Mais on le fait avec beaucoup d'amour.»

Comme ses compagnons d'un soir, Alexandre Désilets ne prend pas la chose à la légère: «Ses nouvelles chansons n'ont jamais été chantées sur scène et c'est moi qui ai la responsabilité d'aller le faire devant ce gars-là. Il faut que j'essaie de les rendre le plus près possible de ce qu'il aurait aimé entendre. Il faut que les gens puissent le voir en nous. Parce qu'il est encore vivant, justement.»

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À la salle Wilfrid-Pelletier, le 13 juin.

Fiori vu par...

MARIE-PIERRE ARTHUR> AVEZ-VOUS BEAUCOUP ÉCOUTÉ FIORI?

Beaucoup d'amis de mon âge ont fait untrip d'Harmonium à l'adolescence. Pas moi, mais j'en avais beaucoup entendu. Même si tu ne veux pas vivre ça, tu l'as vécu pareil et ça fait partie de nous autres. Le fait d'entendre sa voix nous ramène à quelque chose de super «groundé».

> VOTRE IMPRESSION DE SON NOUVEL ALBUM?

C'est du Fiori intemporel, c'est son son à lui, pas adapté à quelque chose, mais pas mésadapté non plus. C'est loin d'être des sons désuets. Ce qui m'intéresse de plus en plus quand j'écoute de la musique ces temps-ci, c'est de sentir que j'ai affaire à une personne et non à une époque. Et ça, c'est le trip de Fiori.

> COMMENT ABORDEZ-VOUS SON RÉPERTOIRE?

Si on me propose une chanson, je vais y mettre ma touche. Mais là, il n'est pas du tout question de partir ailleurs. De toute façon, surtout avec Fiori, ce n'est pas un must tant que ça d'aller ailleurs: j'aurais cherché beaucoup pour peut-être pas mal moins bon. C'est pas mal le fun d'avoir cette musique-là pour pouvoir décoller.

> SES CHANSONS PRÉFÉRÉES

Nouvel album: Seule

Répertoire: En pleine face

ALEXANDRE DÉSILETS

> ÊTES-VOUS SURPRIS DE PARTICIPER À FIORITUDES?

Non. Je me suis dit que, si on faisait un show autour du nouvel album, je voudrais y participer parce que j'ai une voix similaire. Et je me suis rendu compte à quel point il a eu une influence sur ma façon d'écrire et de composer.

> PEUT-ON CHANTER FIORI SANS L'IMITER?

C'est difficile parce que sa façon de chanter est très maniérée et puis c'est chanté à la québécoise, ce que je n'ai pas l'habitude de faire. Quand j'ai commencé à chanter ses chansons, automatiquement j'ai fait comme lui, mais, après une semaine ou deux, je me le suis approprié.

> FIORI EST-IL TOUJOURS ACTUEL?

Je comprends comment dans Le monde est virtuel quelqu'un de 60 ans peut avoir ce regard critique sur la machine et les médias sociaux, mais je comprends aussi pourquoi un plus jeune peut trouver ça quétaine parce qu'il y a le mot Twitter dedans. Il y a toujours eu une certaine critique sociale chez Fiori et, dans son nouvel album, il lance plusieurs messages universels et intemporels. Je me suis senti vraiment interpellé, même si j'ai pas le même âge que lui.

> SES CHANSONS PRÉFÉRÉES

Nouvel album: Crampe au cerveau

Répertoire: Comme un fou

ANTOINE GRATTON

> ÊTES-VOUS SURPRIS DE PARTICIPER À FIORITUDES?

Oui et non parce que je vois de la parenté entre la musique de Fiori et ce que je fais. Je n'étais pas un maniaque de la musique de Fiori, mais je le connaissais suffisamment pour que je m'inspire de lui dans mon écriture. On m'a souvent dit que j'avais des changements d'accords qui sonnaient un peu comme Fiori.

> FIORI, C'EST QUI POUR VOUS?

Un gars qui n'est pas là pour plaire à personne, mais pour faire de la musique comme lui veut la faire. Un gars qui fait vraiment ce qui sort de son coeur et de sa tête. Et ça, c'est très rare; je n'en ai pas vu beaucoup.

> VOTRE IMPRESSION DE SON NOUVEL ALBUM?

Je ne suis pas rentré dedans tant que ça à la première écoute. Ça a pris le show pour que je comprenne vraiment que c'est un excellent album. C'est vraiment du good old Serge Fiori, comme on veut l'entendre.

> SES CHANSONS PRÉFÉRÉES

Nouvel album: Le monde est virtuel

Répertoire: Dixie

CATHERINE MAJOR

> ÊTES-VOUS SURPRISE DE PARTICIPER À FIORITUDES?

Non. J'ai fait plein de choses différentes depuis des années et je pense que, si on a un point commun, Fiori et moi, c'est qu'on aime beaucoup les harmonies. C'est une musique qui me rejoint beaucoup.

> VOTRE IMPRESSION DE SON NOUVEL ALBUM?

C'est un bel album. Il n'a pas refait ce qu'il faisait avant, mais il n'est pas allé trop loin non plus et c'est ça qui est bien, c'est ce qu'on voulait retrouver. Il a été fidèle à lui-même et il a fait quelque chose de son temps, mais avec son âme qui est toujours vivante.

> CROYEZ-VOUS QUE C'EST UNIQUEMENT LA GÉNÉRATION DE FIORI QUI A ACHETÉ SON NOUVEL ALBUM?

Je ne pense pas. Moi, je l'ai acheté, donc... J'ai 30 ans et on a à peu près tous le même âge sur ce show-là. Plus jeunes, on l'a écouté et je pense qu'on s'est encore précipités pour l'entendre. Il y a quelques grands de cette époque-là au Québec et il faut toujours se tenir à l'affût de ce qu'ils font.

> SES CHANSONS PRÉFÉRÉES

Nouvel album: Jamais

Répertoire: Depuis l'automne

Photo: Ivanoh Demers, La Presse

Marie-Pierre Arthur