Était-ce en l'honneur du disque de Bernard Adamus, Brun, qui n'arrête pas de rafler plein de prix et de trophées, y compris un Félix? Toujours est-il que le vaste espace qu'est la place de Festivals était non pas «noir de monde», mais bien brun, et même brun foncé, rempli de spectateurs qui avaient du gros fun... brun, tant sur la vaste esplanade que sur la vaste scène, d'ailleurs.

C'est ça qui était le plus incroyable. Adamus et ses sept musiciens, de même que leurs invités Marie-Pierre Arthur, Fred Fortin et Gatineau, ne jouaient pas leur vie hier, devant plus de 10 000 personnes. Ils ne jouaient pas leur carrière non plus. Ils jouaient de la musique! Et jouer de la musique, ça rend heureux, ça allège, ça fait sourire tout seul, même quand on chante des chansons incroyablement tristes qui racontent la vie de parias, de marginaux, de «désinstitionnalisés», de losers pas vraiment magnifiques. C'est vrai que c'est drôle, chanter en beuglant un peu La question à 100 piasses, c'est tout de même une des chansons les plus bellement désespérées qui soient...

«Tabarouette, quelle aventure, quelle aventure», a marmonné Adamus, sans doute éberlué en se voyant là, sur l'immense scène, alors qu'en 2009 il posait du «plywood» aux Francos et faisait une petite prestation dehors sous le nom du Révérend. Bon, c'est vrai, en 2010, le festival l'avait invité deux soirs à l'Astral (qui avait explosé, d'ailleurs), mais c'est petit, l'Astral, c'est intime. Là, on était sous les étoiles, et une méchante gang, à part de ça, à chanter avec Adamus «il fera plus beau dans mon bol de toilette» ou «brun, la couleur de l'amour»! La même méchante gang qui écoutait de nouvelles chansons, absolument inconnues et délirantes, la même qui écoutait La foule d'Édith Piaf revu à la façon combo fou.

Car les musiciens d'Adamus ont tellement joué ensemble et dans toutes les conditions possibles depuis deux ans qu'ils sont d'une cohésion rare. Sous des allures «lâchées lousse», c'est «tight» majeur! Le banjo et la slide-guitar, les percussions et les cuivres, plus le groupe Canaille qui faisait les voix parfois, hier, ça sonnait vraiment bien, mariés à l'étrange voix bêlante, rauque et haute tout à la fois de Bernard Adamus.

Et puis, la musique de Bernard-à-l'éternel-casquette est un hallucinant mélange de Nina Rota, de country, de Plume, de blues, d'Émir Kusturica quand il fait de la musique, de Jon Spencer Blues Explosion, de Dylan, de Woody Guthrie, de Long John Baldtry, de rigodon. Hier, on a même eu droit à une version «électro, plus sons et lumières» de Rue Ontario, et ça marchait!

À la toute fin, Adamus est revenu au rappel tout seul avec sa guitare et son harmonica, et il a chanté une de ses plus belles chansons, déchirantes, Acapulco. Tout le monde l'a écouté avec respect. Car quoi qu'il arrive, c'était clair, on était devant un gars qui allait écrire des chansons et les chanter, qu'on le suive ou pas, qu'on l'aime ou non, qu'on soit là ou ailleurs. Il a besoin d'écrire pour vivre. Brun, c'est la couleur du désespoir et celle de la résilience.