La puissante chanteuse de Beast et voix des Triplettes de Belleville délaisse les grooves électrorock pour remonter le temps avec un tour de chant consacré à la chanson française de l'entre-deux-guerres. Betty Bonifassi souhaite faire de son cabaret un élément récurrent des nuits montréalaises.

Elle parle cinq langues, cumule des origines serbes et italiennes, mais a surtout chanté en anglais, des petites scènes montréalaises à celle des Oscars en 2004. C'est dire le caractère anecdotique de la version française de Belleville rendez-vous, thème du film Les triplettes de Belleville, dans le parcours de Betty Bonifassi, qui est née à Nice, à deux pas de l'Italie. «Je chante en français pour la première fois en 24 ans», résume-t-elle.

Ce qui la ramène au français, c'est la chanson. Elle caresse depuis un certain temps déjà le désir de redonner du lustre aux airs que lui chantait sa grand-mère lorsqu'elle était enfant. De la chanson réaliste de l'entre-deux-guerres, un répertoire associé à une foule de chanteuses qui roulent les «r» et savent exprimer la nostalgie: Fréhel, Damia, Berthe Sylva et Lucienne Boyer. Et Piaf, venue peu après.

Betty Bonifassi n'hésite pas à utiliser le mot «concept» en parlant de son spectacle Le tombeau des trottoirs - le titre est une référence à la musique classique où «tombeau» est l'équivalent d'un hommage.

Elle a délibérément conçu un spectacle de style cabaret pour lequel elle affichera un look garçonne et songe déjà à étoffer cet univers à l'aide d'objets musicaux inusités qui lui conféreraient un côté «burlesque musical». Mais son concept passe d'abord par une actualisation du répertoire.

«Je crois que c'est beaucoup par le groove qu'on peut placer une modernité sur un répertoire d'antan», juge la chanteuse. Par groove, elle n'entend pas lutherie numérique. Betty Bonifassi ne songe d'ailleurs pas à colorer ces chansons parfois presque centenaires de bidouillages électroniques. Elle cherche simplement à en revoir les arrangements pour les sortir un peu du classicisme et les rapprocher d'un rythme plus éloquent pour les sens des mélomanes d'aujourd'hui.

«Ça ouvre tout de suite une autre dimension et ça montre le côté élastique des grandes chansons», estime-t-elle. Son choix de répertoire procède de la même envie de parler aux gens d'aujourd'hui. «Ce sont des chansons de crise, explique la chanteuse. C'était après la Première Guerre mondiale, mais à l'approche de la crise économique des années 30. Il y a cette énergie-là dans les musiques. Cent ans plus tard, l'histoire a fait une boucle.»

Musiciens créatifs

Le tombeau des trottoirs met en vedette Betty Bonifassi au chant, mais elle insiste pour dire qu'elle s'appuie sur une équipe de musiciens créatifs parmi lesquels Fabienne Lucet (piano), Robbie Kuster (batterie), Manon Chaput (basse) et un quatuor à cordes baptisé les Mommies On the Run composé de Mélanie Bélair, Mélanie Vaugeois, Annie Gadbois et Ligia Paquin. «Toute seule, je ne ferais pas ça», dit la chanteuse.

Betty Bonifassi ne le dit pas aussi clairement, mais on devine derrière ses mots qu'elle souhaite faire du Tombeau des trottoirs un cabaret ancré dans les nuits montréalaises. Elle a d'ailleurs prévu le reprendre une fois par mois en septembre, octobre et novembre prochains, après les deux représentations prévues cette semaine à L'Astral (qui affichent complet). Pour lui donner une couleur locale, la chanteuse entend ajouter des chansons d'ici à son répertoire pour le moment très parigot.

«J'aime les chansons et les musiques traditionnelles, insiste l'interprète, qui est visiblement fascinée par le bouillonnement culturel du début du XXe siècle. Je crois que c'est un bassin dans lequel il faut retourner régulièrement pour trouver une nouvelle façon de faire évoluer la musique.»

À L'Astral ce soir et demain. Aussi les 9 septembre, 14 octobre et 11 novembre au National.