À toutes fins utiles, ce mec a inventé le rock arabe. Maghreb rock, à tout le moins. Et lorsque l'inventeur revient nous passer le bonjour, on fait Salam aleikum!

En interview,  Rachid Taha avait annoncé que ce serait pop aux Francos montréalaises. En fait, ce fut très rock. Très métissé de surcroît. Très algérien, très français. Mais surtout très rock.

Chemise imprimée aux couleurs melon et pastèque, jeans serré, dégaine assurée, le chanteur franco-algérien semble avoir la forme. De loin, c'est-à-dire perdu tout en haut de l'amphithéâtre, on a cette impression. Or, après consultation de plusieurs lecteurs présents au spectacle, il semble que ce soit tout autre... D'aucuns l'on soupçonné de ne pas être en pleine possession de ses moyens.

Chose certaine, Rachid n'est pas un chanteur hors-pair, il ne l'a d'ailleurs jamais été. Considérons-le d'abord comme un directeur artistique, un animateur de foule,  un diseur souvent obligé de gueuler afin d'accoter son orchestre rock.

Guitare et mandole acidulées, paire de claviers qui déroulent les tapis orientaux, batterie parfaitement baraquée pour les grandes occasions. Voilà qui nous rappelle les meilleures soirées montréalaises de Rachid, on pense à celles qui avaient atteint des cimes d'intensité au tournant de la précédente décennie.

Ainsi donc, cette escale est partie en lion avec Ila Liqa, Shuf, Hassborum, toutes rock d'approche, malgré la langue et les couleurs orientales.

Kelma, nous ramènera à des considérations plus folkloriques, équivalent maghrébin de l'idée qu'on peut se faire du country rock. Meftuh a tôt fait de nous replonger dans le hard. Riffs d'enfer, séquences gorgées de testostérone, et tous ces punchs ayant pour objet de défoncer des murs.

Question de ralentir un tantinet la poussée de fièvre, le chanteur suggère un influx de tendresse, commande un ralentissement du tempo, et entonne Je t'aime mon amour. Voilà qui détonne des envolées fielleuses! Juste un instant, il faut dire. Chassez le naturel... Rachid revient à la charge avec Mokhtar, beaucoup plus costaude que sur l'album. Et voilà qu'il balance Ha Baby, une troisième d'affilée à être extirpée de Bonjour, son plus récent album réalisé par Gaëtan Roussel.

Après une longue introduction de mandole et une série d'incantations arabo-andalouses, on ne sait plus exactement si ce rock hybridé trouve sa source dans le nord de l'Afrique ou dans le sud de la péninsule ibérique.

C'est l'occasion de se prendre en pleine gueule la chanson-titre du dernier album, un duo que le chanteur a partagé en studio avec Gaëtan Roussel, sur scène avec son guitariste. Bonjour, en fait, est la plus pop de cet opus qui marque un renouveau dans l'ambiance Rachid. Sur les planches, toutefois, aucune transfiguration à l'horizon. On revient aux bases connues, parfaitement intégrées par le public de l'artiste dont la fibre rebelle conduit à faire répéter à la foule des formules exutoires du genre « fuck BP»... because la marée noire.

Et puis l'irrésistible Bent Sahra nous repositionne direct au confluent du hard rock et de l'arabité nord-africaine. Vraiment solide, avec pédales de distorsion dans le tapis, et des choeurs pur beurs. Parterre et balcons sont alors chauffés à blanc, le chanteur procède à de redoutables grognements qui se prolongent jusqu'à la chanson suivante, Barrah.

S'ensuit Écoute-moi camarade, chronique de société sur un air de chaabi où le narrateur conseille et critique son pote entiché d'une gonzesse qui ne le prend pas au sérieux: sois un peu fier / laisse la tranquille/ elle se moque de toi / ça se voit, non?

Après le mirage amoureux, notre hôte nous sert un groove à la santé des immigrants. L'audience en sueur est prête à ingurgiter son grand classique, le plus fédérateur de tous: relancé par Rachid à la fin des années 90, Ya Rayah soulève encore les foules.

Avant d'entreprendre les rappels et fréquenter d'autres paroxysmes, Rachid Taha aura réitéré son allégeance indéfectible au punk rock des Clash avec sa fameuse version orientale de Rock The Casbah - qu'il joue parfois sur scène avec son pote Mick Jones, rien de moins. La répétition de ces beats virils et de ces motifs incandescents, force est de constater, incite à la transe. Une transe résolument laïque, foi de Rachid.