Pour sa première visite au Festival de Lanaudière, Ute Lemper présente Dernier tango à Berlin, un spectacle qui retrace les grands chapitres musicaux de sa carrière. Elle a évoqué pour nous les étapes de ce voyage musical à l'occasion d'un entretien téléphonique.

Une partie importante de votre carrière a été consacrée aux chansons de Kurt Weill et d'autres auteurs de la même période. Comment êtes-vous devenue intéressée par cette époque?

Je suis allemande, bien sûr, et nous avons une énorme histoire à gérer et à digérer. J'ai grandi dans un pays séparé en deux, où je vivais à l'Ouest. Étudiante, dans les années 70, j'ai été très émue d'entendre la musique de Kurt Weill et surtout les paroles de Bertolt Brecht. Mais cette musique était devenue complètement inexistante, au présent, dans mes années de jeunesse. On n'écoutait plus cela. Je me suis lancée dans ce répertoire comme jeune actrice et chanteuse en créant mes premières soirées Kurt Weill dans de petits cabarets, au début des années 80, pour le faire redécouvrir. Et j'ai été choisie par Decca pour réenregistrer toute l'oeuvre de Weill, ce que j'ai fait.

Comment avez-vous vécu ce grand projet?

Tout à coup, j'avais une grande responsabilité, car ces disques allaient être vendus partout dans le monde. C'est devenu une mission pour moi d'examiner le passé et d'ouvrir les livres d'histoire pour chercher des réponses aux questions soulevées dans ces années sombres et terribles de la Seconde Guerre mondiale et de l'Holocauste. Il y a eu un grand choc entre l'Allemagne de cette époque et l'art libre, avec le départ de milliers d'artistes forcés de quitter le pays et la mise au ban d'oeuvres que les nazis considéraient comme de l'art «dégénéré». Ces questions confrontaient mon histoire et mon identité en tant que jeune Allemande et en tant qu'artiste. Mes deux missions - celles d'être artiste et en même temps ambassadrice d'une nouvelle génération - se sont rencontrées.

Parlez-nous de votre spectacle, Dernier tango à Berlin.

C'est un titre qui offre beaucoup de latitude. Je l'ai choisi pour concevoir un concert qui incorpore tout ce voyage de ma vie, avec les différents répertoires que j'ai chantés. Cela inclut le répertoire allemand, le grand répertoire de la chanson française parce que j'ai vécu longtemps à Paris, et le jazz parce que j'habite depuis 20 ans à New York. Comme je compose aussi moi-même depuis 15 ans, j'ai inclus certaines de mes créations sur les paroles de Pablo Neruda, de Charles Bukowski et de Paulo Coelho. Et aussi des chansons de tango, car j'ai déjà fait une tournée mondiale avec des musiciens de Buenos Aires sur le répertoire de Piazzolla. C'est vraiment un voyage à travers les chapitres de mon histoire musicale, accompagné seulement par un piano et un bandonéon.

Bien plus qu'une simple danse, le tango représente une culture, une histoire. Que signifie-t-il pour vous?

Dans mon univers, et dans mon spectacle, le tango n'est pas utilisé comme une danse mais comme une musique où l'on retrouve l'esprit cosmopolite, nocturne et décadent des grandes villes. C'est l'esprit des cabarets de l'époque, un peu perdu, politique, existentialiste, que l'on retrouvait à Paris ou à Berlin. Brecht, comme auteur politique, a toujours utilisé le tango comme référence à une vie très nocturne et décadente.

En terminant, quels projets vous tiennent à coeur présentement?

J'ai un nouveau spectacle de chansons que j'ai composées sur les mots de Paulo Coelho, ce fantastique auteur brésilien. C'est une collaboration avec lui basée sur son livre Le manuscrit retrouvé. Ce sera aussi le thème de mon prochain disque, The Secrets, qui sortira à l'automne. De temps à autre, je sens l'inspiration et j'ai envie d'écrire et de me lancer dans un énorme projet comme celui-là. Ça me fait voyager à travers les époques et j'ai beaucoup de plaisir à créer.

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À la salle Rolland-Brunelle du Centre culturel de Joliette le 24 juillet, 20h, dans le cadre du Festival de Lanaudière.