Marie-Nicole Lemieux et son programme Rossini avaient attiré 3 500 personnes vendredi soir à l'Amphithéâtre du Festival de Lanaudière. Compte tenu de la célébrité grandissante de la chanteuse et du temps magnifique qu'il faisait encore, on s'étonne que l'assistance n'ait pas été plus considérable. Mais le chiffre me vient d'un représentant du Festival qui n'a pas cherché à le gonfler.

Se présentant dans deux robes différentes, Mme Lemieux avait programmé cinq pièces: la rare cantate Giovanna d'Arco et quatre airs d'opéras, tirés respectivement de TancrediLa Donna del lagoSemiramide et L'Italiana in Algeri. Les trois premiers opéras sont tragiques et les rôles qu'y défendait notre chanteuse sont tous des rôles masculins qui, selon la coutume de l'époque, furent créés par des contraltos (ce qu'on appelle «rôles travestis»), alors que le dernier opéra, qui met en scène l'amusante «Italienne à Alger», fut bel et bien créé par une femme, contralto elle aussi.

Ce programme évoquait un événement de la riche histoire de Lanaudière encore frais à nos mémoires 14 ans plus tard, ce qui ne sera certainement pas le cas de ce que nous venons d'entendre. Je parle du concert tout-Rossini marquant les débuts ici d'Ewa Podles, le 24 juillet 1998. Le rapprochement est d'autant plus significatif que l'artiste polonaise avait chanté trois des mêmes airs: ceux de Tancredi, de La Donna del lago et de L'Italiana in Algeri. Podles était alors - et est encore - une authentique contralto, avec une voix proche à s'y méprendre d'une voix d'homme, chose tout à fait souhaitable dans les deux premiers cas.

Mme Lemieux se dit contralto. Il faut corriger: grand mezzo. Elle pousse ici et là de gros sons qu'on peut identifier à ceux d'un contralto, mais la couleur générale de la voix reste celle d'un mezzo et même d'un soprano.

Par contre, je reconnais chez elle cette incroyable virtuosité, cette justesse absolue, ce souffle manifestement inépuisable, ces ornements et ces mélismes à n'en plus finir, ces fioritures qui courent sur tous les registres en même temps, le tout s'accompagnant de contorsions funambulesques et un rien vulgaires qui me l'ont déjà fait comparer à une championne olympique et dont on a encore eu une abondante illustration, amplifiée cette fois par les écrans géants.

Reste l'identification aux personnages. Et ici, j'inclus la «cantata a voce sola» décrivant Jeanne d'Arc partant pour la guerre. La chanteuse a tendance à engloutir la musique sous une surcharge d'émotion. Le résultat manque de naturel et devient superficiel. Seul fait exception l'air plus terre à terre de L'italiana in Algeri. Ovationnée, elle ajouta en rappel le «Cruda sorte» du même opéra. Je m'étonne cependant qu'elle n'ait pas inscrit à son programme un air de Guillaume Tell, opéra qu'elle vient d'enregistrer.

Dirigés par leur nouveau chef Jean-Marie Zeitouni, les Musici, augmentés à 52 musiciens (et erronément appelés «Orchestre du Festival»), l'ont solidement accompagnée et ont complété le programme avec d'exemplaires exécutions d'ouvertures dont, précisément, celle combien fameuse de Guillaume Tell.

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I MUSICI DE MONTRÉAL. Chef d'orchestre: Jean-Marie Zeitouni. Soliste: Marie-Nicole Lemieux, mezzo-soprano. Vendredi soir, Amphithéâtre Fernand-Lindsay de Joliette. Dans le cadre du 35e Festival de Lanaudière. Programme consacré à Gioachino Rossini.